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beaux yeux noirs de sa mère et peut-être aussi sa nature, car son père, qui ne l’aimait guère, disait de lui : « Il est fougueux, mais il a du cœur. »

La duchesse Eléonore ne cessa cependant pas de plaider la cause de la prisonnière. Elle écrivit, en sa faveur, à la reine Anne d’Angleterre ; surtout elle travailla si bien l’esprit de son mari qu’elle finit par l’amener à désirer revoir sa fille. Mais Bernstorff veillait. Sans s’opposer au voyage de son maître à Ahlden, il sut le faire retarder de semaine en semaine, si bien que le duc, étant tombé malade, fut emporté rapidement en 1705, sans avoir revu son enfant.

Par la mort de son beau-père, l’Electeur devenait souverain de Celle ; il avait à sa merci la duchesse Eléonore, qui, abandonnant le « Schloss » où elle avait vécu depuis son mariage, se retira à Wienhausen, dans une habitation que lui avait laissée son mari. Elle désirait ardemment que sa fille vînt partager sa retraite, mais Georges-Louis fut inflexible. Pendant qu’il prenait possession de son nouveau duché, celle à qui il devait ce riche héritage demeurait murée dans sa lamentable existence.

L’année 1705 fut féconde en événemens, dont l’écho lointain parvint à la recluse d’Ahlden. Après le duc de Celle, mourut la comtesse Platen, dévorée par une maladie hideuse et voyant avec épouvante l’ombre vengeresse de Königsmark errer autour de son lit. Puis, le fils de Sophie-Dorothée épousa la princesse Caroline d’Anspach et, quelques mois après, en 1706, sa fille s’unissait au prince Frédéric-Guillaume de Prusse[1]. Ces deux mariages, qui pourtant la touchaient de près, ne furent pas annoncés officiellement à la « duchesse d’Ahlden, » la morte vivante, et sa mère n’y figura pas.

La politique adoptée par la Cour de Hanovre se poursuivait, à travers les années, avec une logique impitoyable : elle faisait le silence sur la princesse. Une fois seulement, ce silence fut rompu et, dans les Cours d’Europe, on s’occupa de la triste héroïne du drame de Hanovre. Le duc de Wolfenbüttel était resté fidèle à son amitié pour Eléonore et pour sa fille. Ce prince, qui se piquait de littérature, détestait la maison électorale, et, dans un ouvrage moitié historique, moitié d’imagination, il raconta le roman de son infortunée parente : non pas, il est vrai,

  1. Ce prince devint en 1713 roi de Prusse à la mort de son père Frédéric Ier.