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les deux cours ayant réglé d’avance le sort de l’accusée dont il importait de restreindre la liberté pour garder l’héritage.

Au mois de septembre, quand s’ouvrirent les débats, on la ramena sur le territoire de Hanovre, à Lauenau, pour être plus près de ses juges. Le prince héritier demandait le divorce, sous prétexte que sa femme refusait de cohabiter avec lui, et Sophie-Dorothée, interrogée dans le même sens, déclara que, sous aucun prétexte, elle ne reprendrait la vie commune.

Elle ne perdait pas, du reste, une occasion d’affirmer son désir de rompre avec le Hanovre et, tout entière à son désespoir, elle ne songeait pas à s’assurer pour l’avenir certaines conditions de liberté et de bien-être. La duchesse Eléonore, qui prévoyait le sort atroce réservé à son enfant, voulut en vain intervenir ; on refusa de lui laisser voir sa fille, à qui, seule, elle aurait donné des conseils désintéressés.

Un curieux réquisitoire envoyé à Celle, par Hugo le vice-chancelier du duché de Hanovre, révèle l’animosité dont étaient remplis les juges, vendus au prince Georges, contre l’infortunée qui, quelles qu’aient été ses fautes, avait droit à la justice. On lui reprochait surtout ses projets de fuite, son indifférence pour ses enfans, sa haine pour sa belle-famille et des propos comme le suivant : « qu’elle aimerait mieux être marquise en France que princesse en Allemagne ! » A travers le dossier incomplet et tronqué des débats, il ressort clairement que la procédure en fut, au premier chef, illégale et injuste, et que Sophie-Dorothée, prisonnière, séquestrée, uniquement entourée des émissaires de son mari, contribua inconsciemment à perdre sa propre cause.

Le verdict fut rendu le 15 décembre 1694 ; il était interdit à la princesse de se remarier ; elle était désormais déchue de son rang, morte au point de vue politique ; son nom était effacé de la liturgie et des documens officiels, et le manoir d’Ahlden lui était assigné comme demeure avec une pension d’environ quatre-vingt mille livres de rentes et le titre de duchesse d’Ahlden.

Ce verdict fit sensation à Celle, où Sophie-Dorothée était restée la petite princesse très aimée ; les habitans murmurèrent contre l’illégalité dont était entachée la procédure et surtout contre la détention d’une femme, qui, même en la supposant coupable envers son mari, ne méritait pas la prison., On remarqua aussi que la Maison électorale, tout en la rejetant, trouvait moyen de garder son magnifique héritage.