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instant, entouré, attaqué et frappé à mort ! Transpercé par une épée, il tomba baigné de sang, en criant : « Sauvez la princesse ! sauvez l’innocente princesse ! »

Ses assassins le traînèrent dans la pièce voisine, où, à la pâle clarté d’un flambeau, la comtesse Platen vit étendu à ses pieds, dans les affres de la mort, l’homme qui l’avait bravée ! On dit que le blessé la reconnut, qu’il réunit ses forces pour la maudire et qu’elle arrêta ses paroles vengeresses en lui mettant le pied sur la bouche ! Trop faible pour répondre à cette injure suprême, Königsmark se serait évanoui ; puis, revenant à lui, il aurait, en mots entrecoupés, protesté de l’innocence de la princesse, fidèle au dernier moment, malgré ses faiblesses et ses fautes, à celle dont l’amour lui coûtait la vie.

Une fois qu’il fut mort, la Platen, épouvantée de son œuvre, s’emporta contre les maladroits qui avaient dépassé ses instructions et qui étaient eux-mêmes terrifiés, en reconnaissant dans leur victime le magnifique et populaire comte de Königsmark. La Platen leur donna l’ordre de dire toujours que le comte Philippe les avait attaqués le premier, puis elle s’enfuit porter à l’Electeur cette version du drame.

Pour une fois, Ernest-Auguste entra en fureur contre sa maîtresse, l’accusant d’avoir, par ce meurtre stupide et brutal d’un homme connu dans toutes les Cours de l’Europe, attiré sur lui et sur son Etat les embarras les plus graves. Mais, — détail qui caractérise le personnage, — après avoir accablé la Platen de ses reproches, il se réclama d’elle pour faire disparaître les traces du crime. Ils s’en allèrent, couple tremblant et misérable, à travers les salles désertes du « Schloss » jusqu’à la pièce, où Königsmark était veillé par ses assassins. Sous les yeux de l’Electeur, le corps fut jeté dans un trou rempli de chaux vive. On le recouvrit avec soin. Le parquet fut lavé, et cette besogne sinistre s’accomplit si promptement que, sauf les six intéressés, personne dans le palais endormi ne devina le drame de la nuit. Les assassins reçurent l’ordre, sous peine de mort, de garder un silence absolu : du reste, ils étaient trop inquiets de leur propre sécurité pour se vanter de ce qu’ils avaient fait.

Moins que toute autre, la princesse électorale se doutait de la tragédie qui s’était déroulée à quelques mètres seulement de sa chambre. Après le départ du comte, elle s’était mise à emballer ses bijoux et b. brûler ses papiers en vue de sa fuite : il