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Liebault et Louise Bourgeois dite Boursier, sage-femme de Marie de Médicis. Elles sont d’accord sur l’importance qu’il y a à ne pas prendre une nourrice rousse ou dont la vue soit défectueuse. La première ajoute que la nourrice doit avoir entre vingt-cinq et trente-cinq ans, la seconde qu’il faut regarder si ses dents sont blanches et bien rangées et s’enquérir si ses ascendans sont sains, présomptions dont on s’étonne que la première n’ait pas parlé, mais dont elle ne méconnaissait certainement pas la valeur. Le 25 janvier 1613, le bureau de l’Hôtel de Ville, pour prévenir de nouveaux cas de mortalité enfantine provenant de l’insuffisance du lait maternel, adjoignit deux nourrices au service des accouchées.

Au sujet de l’alimentation qui s’ajoutait au lait de femme et qui le remplaçait entièrement après le sevrage, nous signalerons l’abus de la bouillie à la campagne et l’habitude de certaines paysannes de donner aux nourrissons du vin et même de la soupe au vin. C’est Gui Patin qui nous révèle, avec sa verve incisive, ces pernicieuses pratiques et il motive longuement la condamnation absolue de la bouillie, dont l’usage lui paraît mauvais, même quand il ne va pas au point d’« en fourrer aux enfans jusqu’à la gorge, » comme font les nourrices aux champs. Il pousse même la prévention jusqu’à l’accuser d’être cause de la petite vérole et de lui donner une gravité souvent mortelle. Du bouillon, des œufs, voilà quelle est, pour lui, l’alimentation qui convient le mieux aux enfans en sevrage.

La nourrice restait souvent auprès de son ancien nourrisson en qualité de bonne d’enfant. Personne, pas même la mère, ne pouvait avoir plus d’influence sur sa première éducation que celle qui, l’ayant nourri, avait suscité et dirigé en lui le premier éveil, le premier développement de la sensibilité et de l’intelligence : « Je trouve, écrit Montaigne, que nos plus grands vices prennent leur pli de notre plus tendre enfance et que notre principal gouvernement est entre les mains des nourrices. » Les sentimens nés de cette pseudo-maternité engendraient souvent un attachement qui durait toute la vie, et le rôle que les littératures de tous les temps et de tous les pays ont donné à la nourrice auprès de l’enfant qu’elle a allaité n’a fait que reproduire une situation universelle. Pierre Larivey, dans sa comédie Le Fidèle, fuit dialoguer une jeune fille et son ancienne nourrice. La première reproche à la seconde les sentimens