Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour achever, vient Mme de Maintenon. Avec elle s’introduit dans ce cercle le romanesque et le fantastique[1]. L’histoire de Mme de Maintenon est si invraisemblable ! La voilà femme du roi de France, la voilà mariée avec Louis XIV, cette petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, cette veuve un instant sans ressource du grotesque Scarron : ne sommes-nous pas en plein merveilleux, ou plutôt en plein miraculeux ? Qu’est-ce que Dieu veut faire de la pieuse Mme de Maintenon, qui a un pouvoir absolu, et le plus légitime des pouvoirs, sur le maître de la France ? Mme de Maintenon se le demande elle-même. Mais elle ne perd pas son étonnant sang-froid ; elle exerce toujours ce jugement précis et sec, infaillible, qu’aucun mouvement de sensibilité ne dérange : prophétesse qui n’a pas de cœur et qui n’a pas d’illusions.

M. Tronson dominait là ; mais il n’y venait point : il ne quittait pas Saint-Sulpice. Alors l’abbé de Fénelon le remplaçait.

Imaginez qu’il apportait parmi ces gens concentrés et à demi assombris toute l’abondance, toute la grâce, toute l’aisance de sa foi. Il dissipe la gêne, les cœurs s’ouvrent et se dilatent ; près de lui on respire à l’aise ; et l’on ne songe plus à la face contractée et redoutable de la vie chrétienne. Il a, avec cela, tant de justesse, tant de finesse, un tact si nuancé et un désintéressement si exquis ! Même si l’on fermait les yeux à sa jeune sainteté, c’était Fénelon l’enchanteur.

Et lui, de son côté, s’il n’y met garde, il subira l’influence de ses amis, peu à peu, imperceptiblement. Il finira par prendre quelque chose de ces gens ; non certes ce qui sera contre son tempérament, mais ce qui s’accommodera avec certaines pentes de sa nature. Dans ce monde clos, il se considérera involontairement, sinon comme un être d’exception (ce qui serait de l’orgueil), du moins comme un être d’une destination exceptionnelle. Et puis c’est une atmosphère de serre chaude. La dévotion s’y exalte, se monte à un ton, atteint un paroxysme, qui la rendent passionnée et sans clairvoyance ; elle se fausse peut-être ; certainement elle risque de se fausser.

C’est juste à ce moment que la duchesse de Béthune-Charost,

  1. C’est pour ce cercle qu’a été écrit le Traité de l’éducation des filles, ou du moins, c’est là, qu’il a été surtout lu et goûté.