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encore jeté que les fondemens... Ayez donc la bonté, s’il vous plait, de me donner vos ordres, car à présent que tout mon cœur et tout mon esprit est soumis, il ne faut plus de tous les sages ménagemens, et de toutes les réserves, par lesquelles vous m’avez autrefois conduit, si heureusement, sans que je pusse m’apercevoir où vous me meniez. »

Quel est donc ce dessein dont parle Fénelon ? Quel est ce but, auquel le menaient son oncle et son directeur ? Il ne s’agit sans doute pas de la profession ecclésiastique, arrêtée depuis longtemps déjà. Il s’agit plutôt de décider quelle sorte de prêtre sera Fénelon. Car il y avait alors, sans manquer à la vocation, au moins trois manières, pour un prêtre intelligent, de disposer de lui-même.

Il pouvait vivre en homme du monde et en homme de lettres ; bel esprit et sage esprit. Certes il risquerait ainsi de ressembler à ces abbés en linge fin et en point de Venise, qu’on voyait dans les belles sociétés, qui assistaient aux fêtes et aux spectacles, et qui étaient l’ornement des coteries sans être l’ornement de l’Église. Mais un homme « né » devait, avec du tact et de la piété vraie, éviter ce danger. Il porterait dans le siècle les vertus de l’Eglise, et dans l’Eglise les agrémens du siècle. Il gagnerait par cette voie sans épines, outre la réputation, un bon évêché. Et c’est la première façon, fort engageante celle-là, d’entendre la vie cléricale. La seconde est plus austère ; elle impose un dur apprentissage. C’est la profession du théologien et du docteur. Se livrer pour commencer à la discipline de saint Thomas et briller dans l’école ; puis se jeter à perte d’haleine dans les immenses friches de la théologie positive, approfondir les Pères, se nourrir de saint Augustin ; se mettre alors aux controverses aiguës, avoir une opinion raisonnée sur la grâce suffisante qui suffit ou ne suffit pas, sur l’Augustinus, sur les droits de l’Église gallicane ; ainsi muni, entrer dans le mouvement des idées contemporaines, être capable de montrer les erreurs infinies du cartésianisme : bref être un docteur révéré, une manière de « grand Arnaud » orthodoxe : voilà une seconde façon d’entendre la vie. Elle est assez de mode : on peut y trouver profit, gloire en Sorbonne, et de l’autorité dans les assemblées du clergé de France. Et la troisième façon (elle est bien peu engageante, celle-là, et personne n’en parle), elle consiste à faire des catéchismes, à aller au chevet des malades, à administrer une