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que Mme Arvède Barine demanda à la littérature, c’est une image de la vie. Délibérément elle écarta de ses études tout ce qui l’intéressait moins, pour s’attacher uniquement à ce qui la passionnait : les tableaux d’intérieur ou, si vous voulez, de ménage, et la connaissance des âmes. C’est ce qui frappe dans son premier recueil : Portraits de femmes, et d’abord dans cette piquante étude qu’elle consacre à Mme Carlyle. Une femme a pour empire la maison, le foyer : elle y doit faire régner la paix, l’ordre, l’harmonie. Comment y parvient-elle dans certains cas, en présence de données qui rendent la solution du problème extrêmement difficile ? Voici le philosophe Carlyle. Il a du génie, mais aucune des qualités propres à la vie domestique : il est bizarre, emporté, renfrogné, misanthrope et misogyne. Une femme pourtant a été tentée par la tâche d’apprivoiser cet ours. Éprise de ce mirage : être la femme d’un grand homme, elle a fait à cette besogne épineuse tous les sacrifices. Elle était jeune, gaie, enjouée. A la fin pourtant, elle a dû s’avouer vaincue : elle n’a pas résisté au découragement. Mes sœurs ! gardez-vous d’épouser un grand homme, si vous n’avez pas la vocation du sacrifice ! — Mais être soi-même un grand homme, voilà pour une femme un autre martyre. Ce fut celui de Sophie Kowalesky. Elle voulut, elle, passionnée entre toutes, n’être qu’une cérébrale. Elle crut pouvoir donner le change à la nature et se satisfaire par l’orgueil d’une destinée d’exception. Elle expia sa chimère cruellement. Elle répétait, aux heures de sincérité, qu’elle changerait de bon cœur avec la femme la plus ordinaire, mais entourée d’êtres dont elle est la première affection. Elle reprenait à son compte le mot de Mme de Staël que la gloire fut pour elle le deuil éclatant du bonheur. — Princesses ou grandes dames, bourgeoises ou savantes, ce sont des femmes que Mme Arvède Barine, chaque fois qu’elle en a eu la liberté, a choisies pour modèles. Et c’est pour nous ce qui fait le prix incomparable de ses études. Car nous avons beau nous ingénier, il reste toujours pour nous autres hommes des coins ignorés dans l’âme féminine. La subtilité même d’un Sainte-Beuve y échoue. Il y faut un regard de femme.

Curieuse de psychologie, comme tout écrivain formé à l’école de nos classiques, Mme Arvède Barine devait être amenée à étudier ceux chez qui la vie intérieure atteint au plus haut degré d’intensité : les saintes et les saints. Comment, chez une sainte Thérèse, le mysticisme visionnaire s’alliait-il avec le réalisme pratique ? Comment l’existence double que créaient à la sainte ses états particuliers, ne troubla-t-elle jamais cette grande et limpide raison ? Comment des maux si répétés,