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sa pensée par les mots. C’est alors qu’elle commença d’étudier le latin. Elle a décrit les résultats de cette étude avec une minutie reconnaissante. « Les choses s’ordonnaient dans sa tête, les idées prenaient l’habitude de se mettre à leur place, chacune selon son importance... En même temps que l’ordre s’établissait, tout se précisait dans son esprit. L’exercice du mot à mot rigoureux y introduisait un élément d’exactitude qui le transformait lentement, mais complètement. De flou et de flottant, il devenait net et arrêté... Ses efforts prolongés, acharnés, souvent pénibles, pour serrer le texte de plus près dans une langue qui n’admet pas les sens imprécis, lui donnèrent enfin la clef de sa propre pensée. » Ce témoignage d’une femme, et de celle qui fut sans conteste le meilleur écrivain féminin de son temps, est d’une importance capitale dans un débat toujours ouvert et où l’avenir même de notre littérature est engagé.

Au reste, chez Mme Arvède Barine nulle fièvre de vocation précoce ; quand elle se hasarda, modestement, à donner ses premiers articles, elle était déjà mariée et mère ; elle avait pris le temps de réfléchir, de se faire posément son opinion sur le train des choses. On voit dès lors quelles qualités elle allait mettre dans son œuvre. Celle qui dominait chez cette bourgeoise, c’était le bon sens. Elle avait horreur de tout ce qui sonnait faux, des idées baroques qui n’étaient qu’une gageure de paradoxe, et des sentimens exagérés, exaltés, conventionnels. Elle n’admettait rien de factice et de « grimpé. » Elle s’attachait passionnément au vrai. Ce bon sens à la française, encore faut-il savoir ce que c’est, et craindre d’omettre, quand on en parle, un élément qui fait partie de sa définition. Le bon sens d’une Cornuel ou d’une Sévigné, pour ne pas dire celui d’un Boileau ou d’un Racine, n’allait pas sans l’esprit. L’un et l’autre se pénètrent si intimement qu’il devient impossible de les séparer. C’est le cas chez Mme Arvède Barine. Elle a raison avec esprit ; son esprit n’est que le sourire de sa raison. elle excelle à souligner d’un trait le ridicule, à déjouer d’un mot le mensonge ou la chimère. Écoutez-la exposer de son air tranquille quelqu’une de ces théories ambitieuses et vagues où se plaisent les assembleurs de nuages ; et comptez sur elle pour remettre les choses au point, d’une petite phrase bien nette et toute simple. « Vivre la poésie, écrira-t-elle par exemple, c’est bientôt dit. Ce n’est pas toujours facile pour un petit fonctionnaire très pauvre. Hoffmann s’en remit à sa nature d’artiste : elle le mena au cabaret. » A chaque instant, son texte se ponctue de remarques finement railleuses. « Bernardin de Saint-Pierre ne songeait pas à lui en célébrant