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tombe sous les regards et sous la compétence de la société, on peut tout au plus discerner deux groupes de récidivistes : ceux qu’on appelle de la récidive spéciale, c’est-à-dire qui se portent toujours au même genre de crime, et ceux qu’on appelle de récidive générale, allant de délit en délit, selon les occasions rencontrées, cherchées ou provoquées. Aux yeux de certains criminalistes, et notamment de ceux qui s’inspirent des idées lombrosiennes, le récidiviste spécial est un être plus dangereux parce que, chez lui, l’action impulsive individuelle l’emporte sur l’attrait imprévu des occasions. Aussi ne demandent-ils d’aggravation dans la peine à lui infliger qu’au cas où les premières infractions et la dernière infraction signalée dérivent d’un même penchant coupable et d’une « identité d’impulsion. » Il est permis de trouver que cette solution est bien empreinte d’un esprit de fatalisme physiologique et qu’un tel esprit pousse plus à une certaine férocité sociale qu’à la pitié et à l’amélioration du délinquant. En tout cas, j’ai expliqué, dans un précédent travail[1], que cette récidive spéciale ne donnait pas plus des deux cinquièmes de la récidive totale et que les trois autres cinquièmes étaient formés de récidivistes sachant varier leurs talens ou leur trouver des applications de plus d’un genre. On sera donc beaucoup plus près, en somme, de la vérité et de la justice, en ayant surtout en vue les récidivistes qu’on peut appeler à diversité de délits[2]. Il est peu probable que la majorité d’entre eux cède à une force uniforme, constante et par conséquent irrésistible ; mais enfin, cette réitération de faits punissables n’autorise pas moins à les considérer comme incorrigibles. Leur appliquer une pénalité identique serait par trop simplifier la solution d’un problème complexe. L’expérience a parlé très clairement, et nous pouvons en résumer brièvement les leçons. En premier lieu, les criminalistes du monde entier se sont à la fois mis d’accord sur le danger des courtes peines. Il n’est que plus attristant de constater que plus la science indépendante et désintéressée les désapprouve, plus » notre justice et notre administration s’entendent pour les pratiquer[3]. Est-ce esprit de

  1. Voyez le numéro du 1er décembre 1907, le Problème criminel.
  2. De même que l’on considère justement comme plus criminels ceux qui ont cumulé le vol et le meurtre ou le meurtre et le viol en une même entreprise.
  3. Ceci n’est pas seulement vrai en France. M. Prins a fait entendre sur ce point, en Belgique, des protestations très vives.