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peut modifier en rien le déterminisme des faits que nous subissons, alors nous devons nous défendre contre le coupable comme nous nous défendons contre un malade, contre une bête féroce ou contre l’irruption d’une eau rompant ses digues : toute autre méthode nous apparaîtra comme téméraire et inutile. Sans doute les psychologues nous apprendront que la mentalité du criminel est fort complexe ; mais c’est précisément cette complexité qui nous effraiera, — pis que cela, qui nous découragera. Nous avouerons que tout crime, — comme au reste tout acte humain, — est un problème indéchiffrable, parce qu’il nous manque forcément trop de données, de données sûres, de données précises. Nous nous en tiendrons à ce qui est certain ; nous ne discuterons pas plus sur la responsabilité d’un coupable que nous ne dissertons sur l’intelligence ou sur l’instinct d’un animal dangereux qu’il s’agit d’éloigner ou de supprimer.

Cette théorie, qui argue de l’extrême complexité dans la position du problème pour conseiller une extrême simplicité dans la solution, devait choquer beaucoup d’esprits. De là une réaction, — très vive et très peu mesurée, disons-le tout de suite, — de la part de ceux que la complexité même des questions attire, fascine et passionne, pour finir souvent par les égarer. Il y eut donc, il y a quelques années, un mouvement très prononcé en faveur de ce qu’on a appelé « l’individualisation de la peine. » En principe, rien de plus juste que le souci de proportionner la peine à la faute et de juger la faute d’après le degré de perversité qu’elle indique. Mais en résulte-t-il qu’on doive et qu’on puisse, un coupable étant donné, assumer la charge de pénétrer son individualité de part en pari et de la refaire en entier ? Pour en concevoir l’idée, il fallait une dose respectable de conviction et d’illusion. Pour la soutenir, il fallait une logique imperturbable, une science très variée et une ingéniosité habile à tourner les difficultés. On a trouvé de tels esprits en France comme en Allemagne, et leur vaillance les a portés si loin qu’ils sont finalement arrivés à un point où personne n’a plus pu les suivre. Il devenait évident que, grâce à leur logique même, ils avaient tourné le dos à la vérité et au bon sens. De quoi en effet s’agissait-il, suivant eux ? De ne voir dans l’acte raisonné qu’une occasion d’examiner à fond son auteur, de le soumettre aux analyses combinées des psychologues, des médecins, des pédagogues, de l’inventorier, de discerner parmi les motifs qui l’ont fait agir