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VI. — RUPTURE


Mary Clarke à Claude Fauriel.


[1832.]

Je suis dans un tel état depuis que vous avez parlé de ce malheureux voyage, que je ne pouvais supporter les heures. Ce n’est pas que j’aie l’ombre d’envie de vous empêcher de le faire. Mon Dieu, qu’est-ce que les choses ?… Convenez pourtant qu’il est bien triste, après avoir sacrifié toutes ses plus belles années à une seule idée, un seul espoir, après avoir cru s’être bâti un port pour celles de sa vieillesse, de voir tout détruit dans une heure de temps ! Figurez-vous qu’un incendie consume tout ce que vous avez amassé de matériaux : votre vie reste un blanc. Vous me dites que c’est de ma faute, que c’est mon caractère, je le veux croire : hélas ! je suis si accablée, si écrasée que je n’ai pas l’énergie de me défendre. Mais quelle consolation est-ce ? Quelque mauvais qu’il (mon caractère] vous ait paru, je l’ai pourtant bien gouverné pour l’amour de vous. Malheureusement, vous ne m’en savez aucun gré : car lorsque j’ai gardé le silence vous n’avez pas su ce que j’ai souffert. Pendant votre liaison avec Mme D…, que de jours j’ai su me taire, comparé au nombre de ceux où j’ai parlé ! Mais je veux croire que vous avez raison. Mon Dieu, je vous admire, je vous admire tant, je vous trouve si aimable, qu’il ne m’est pas difficile de croire que c’est moi qui ai tort ! Mais pourquoi, hélas ! pourquoi ne me l’avoir pas dit il y a longtemps, pourquoi laisser cette affection s’entortiller autour de chaque fibre de mon pauvre être que je ne puis l’arracher d’un côté sans trouver qu’elle tient si ferme de l’autre, que sans tout déraciner comme une pauvre plante je ne puis m’en défaire !

Comment avez-vous pu, vous qui êtes bon, vous résoudre à me dire que tout était fini ? Comment avez-vous pu m’éteindre ainsi ? Pourquoi ne m’avez-vous pas trompée ? Vous avez cru que je ne souffrirais pas autant, je le crois. Mais comment votre bon sens ne vous avait-il pas dit combien je devais vous aimer, puisque, malgré l’impétuosité de mon caractère, j’avais attendu dix ans, espérant que mes espérances et ma patience seraient enfin récompensées ? Croyez-vous, cher ami, que je n’aie pas eu tous les désirs, toutes les affections naturelles à mon sexe ? ce