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de terre italienne ne lui appartenait. Il n’avait même pas de patrie. Né à Sorrente, transplanté à Pesaro, étudiant des universités de Padoue et de Bologne, plus tard attaché à la personne du cardinal Louis d’Este, il n’est nulle part chez lui. Cette vie de Cour à laquelle son père l’a destiné malgré lui l’oblige à vivre chez les autres, à dépendre d’eux. Quoiqu’il en prenne le pli de bonne heure et qu’il paraisse l’accepter dès le début avec bonne grâce, il n’est pas bien sûr qu’il n’ait pas été obligé de faire sur lui-même un violent effort pour s’y résigner.

Bernardo Tasso, excellent homme au fond, ne brillait pas par l’égalité d’humeur. Son fils tenait de lui l’extrême vivacité de sentimens qui contribua au malheur de sa vie. Jeune, déjà célèbre par la publication du poème de Renaud, entouré de femmes charmantes auxquelles il adressait des vers d’amour, de vingt à vingt-sept ans il ne connut guère que les agrémens de la Cour. Mais déjà, même alors, que d’humiliations pour un homme fier ! Auprès du cardinal Louis d’Este, il ne remplit aucune fonction déterminée ; il n’est ni chambellan, ni secrétaire, ni gentilhomme de la Chambre, il n’a droit à aucun traitement fixe. De temps en temps, lorsqu’il doit figurer dans la suite du prince de l’Eglise, il touche quelques subsides afin que sa tenue ne jure pas avec la magnificence de ses compagnons. Mieux traité un peu plus tard, il est admis à la table princière, et il reçoit quatre écus par mois. Maigre salaire qui ne suffit pas à ses besoins, et l’oblige à solliciter des supplémens pour vivre avec décence.


II

Sur ce point délicat éclate tout de suite l’antagonisme de Solerti et de M. Angelo de Gubernatis. L’un admire la générosité du cardinal à l’égard du poète, l’autre l’accuse de parcimonie. Le petit nombre de détails qu’on connaît sur le voyage du cardinal en France où il emmenait le Tasse à sa suite, semble donner raison à M. Angelo de Gubernatis. Le prélat qui aimait le luxe et l’ostentation, qui attendait d’ailleurs de la cour de France des bénéfices considérables, voyageait avec beaucoup de pompe extérieure. Pour suffire à ses dépenses, il avait engagé d’avance la plus grande partie de ses revenus pendant plusieurs années. Mais, comme il arrive à beaucoup de prodigues, s’il ne