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d’apprentissage. Elevé avec le fils du prince au milieu des exercices chevaleresques qui formaient alors le fond de l’éducation de la jeune noblesse, il y apprit jusque dans ses règles les plus minutieuses le code de la chevalerie. Lorsque dans la Jérusalem délivrée il mettra en scène les héros chrétiens, il ne leur attribuera ni un geste ni une parole qui ne soit conforme aux usages des chevaliers. Ses descriptions de combats singuliers sont citées dans toute l’Italie de la fin du XVIe siècle comme des modèles du genre.

Il trouve à Pesaro un vieux gentilhomme qui a passé cinquante-cinq ans à étudier les mœurs chevaleresques et qui a tiré de ses observations la matière d’un volume. Le Tasse en annote les pages avec un soin pieux. Là aussi il s’instruit des mœurs de la Cour, il apprend le métier de courtisan dont Castiglione a rédigé le code, et dont son père lui laisse l’exemple, tout en regrettant de n’avoir pu faire de lui un jurisconsulte.

Triste métier dont s’accommode mal sa nature indépendante et qu’il traînera comme un boulet pendant tout le cours de son existence. Sans fortune, sans emploi déterminé, il n’y a qu’un moyen de subsister chez les princes d’Italie, l’adulation. Ils protégeront, ils nourriront même au besoin les écrivains de mérite, mais à condition que ceux-ci leur rendent en hommages l’équivalent de ce qu’ils reçoivent. Ces mœurs ne sont pas nouvelles ; deux siècles avant Le Tasse, Pétrarque en a fait l’expérience. Lui aussi, il a adulé des princes, mais à aucun moment il n’a dépendu d’eux. Il n’était ni leur sujet, ni leur obligé ; il n’avait qu’un médiocre souci de leur protection. Ayant de bonne heure assuré son indépendance par des bénéfices ecclésiastiques, il ne demandait rien à personne. De sa petite maison de Vaucluse où il vivait si simplement, il traitait d’égal à égal avec les plus puissans personnages de la terre, avec les souverains pontifes, avec les empereurs et les rois. Ses louanges étaient quelquefois excessives, hors de proportion avec le mérite des gens, mais elles n’étaient jamais intéressées. Ce n’est pas de l’argent qu’il demandait, il plaidait pour une cause, pour une idée, non pour un profit personnel. Il recommandait quelquefois un ami, mais il ne se recommandait pas lui-même. Personne ne songeait à acheter ses éloges, parce qu’on savait qu’ils n’étaient pas à vendre.

Tout autre était la situation du Tasse. Il ne possédait pas la maison de paysan dont s’accommodait Pétrarque ; pas un pouce