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Si la réponse des adversaires s’est fait attendre, le temps ne lui a rien fait perdre de sa vigueur. Un autre critique, bien connu et hautement estimé en France, M. Angelo de Gubernatis, vient cette année même, dans un volume publié à Rome, au secours du premier biographe de Torquato. A son tour, il examine les textes, et il en conclut que le malheur du poète est incontestablement d’avoir été admis dans l’intimité des princes et des princesses de la maison d’Esté, trop avant peut-être dans leurs bonnes grâces.

Entre ces opinions contradictoires, quelle que soit l’obscurité du problème, essayons de démêler la vérité en nous aidant des témoignages contemporains, des œuvres et de la volumineuse correspondance du Tasse qui nous ont été conservées.


I

La première condition pour bien comprendre la suite des événemens est de connaître à fond l’homme lui-même, ses origines, son éducation, les circonstances au milieu desquelles s’est développé son esprit, par quelle porte il est entré dans la vie et ce qu’il a rencontré dès le début de sa carrière. Torquato Tasso descend d’une famille illustre de Bergame qui a obtenu l’intendance générale des postes en Italie, en Allemagne, en Espagne et en France. La branche à laquelle il appartient s’est transportée du Nord au Sud de l’Italie. Son père, Bernardo Tasso, qui avait épousé Porzia de Rossi, s’attache à la fortune du prince de Salerne, fortuné incertaine et changeante qui lui crée beaucoup plus de difficultés qu’elle ne lui rapporte de profits. Heureusement, chez lui, le diplomate est doublé d’un poète. Il se console à demi des échecs répétés de son existence diplomatique, même de la confiscation de ses biens, par le succès de son poème d’Amadis. Mais là encore il subit les vicissitudes de la politique. Le prince de Salerne ayant changé de camp et passé du service de l’Empire à celui de la France, Bernardo Tasso est contraint par les événemens à changer trois fois la dédicace de son œuvre. L’Amadis destiné d’abord à Philippe, infant d’Espagne, puis à Henri II de France, finit pur revenir à Philippe II devenu roi. Le poète espère, par cette dernière volte-face, obtenir la restitution des biens que l’Empire lui a pris.

Voilà donc la première leçon que le Tasse reçoit de la vie.