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des émissaires venus de Rangoon modifièrent ses projets : son frère Myngoon Din était prisonnier des Anglais ; la population de la Basse-Birmanie, difficilement contenue, préparait un soulèvement contre ses maîtres européens. La situation était en réalité beaucoup moins grave. Les manifestations, dont les policiers anglais exagéraient l’importance, avaient inquiété le colonel Fychte récemment nommé Chief Conunissioner ; afin doter aux fauteurs de désordre tout prétexte d’agitations, il avait fait enlever le prince Myngoori Din pour le transporter, à l’abri des tentations et des mauvais conseils, d’abord aux îles Andaman, ensuite à Bhangalpore, dans l’Inde, où une résidence et un traitement convenables lui étaient assignés. Mais Myngoon, sans indications précises sur le sort de son frère, abandonna sans regret les Karinis. Accompagné de vingt-cinq serviteurs et courtisans, il se mit en route à marches forcées pour Rangoon où sa présence lui semblait indispensable. Il devait souvent regretter cette détermination.

Après un voyage d’une dizaine de jours, il arriva près de la capitale de la Birmanie anglaise et fit halte à Keemendyne pour laisser souffler son escorte accablée de fatigue et prendre quelques renseignemens. Tandis qu’il interrogeait les notables accourus pour le saluer, le colonel Duncan, chef de la police du district, cernait sans bruit le village et faisait ensuite irruption dans la sala où s’abritaient le prince et ses serviteurs, dont il opérait l’arrestation d’après les ordres du Chief Commissioner. Myngoon et sa suite, conduits aussitôt dans la prison de Rangoon, furent mis au secret, pendant que la magistrature anglaise déterminait les élémens d’un complot contre la sûreté de l’Etat, dont on accusait le fils du roi Min Doon.

On retrouve dans cette affaire, qui passionna longtemps la population indigène de l’Indo-Chine occidentale, tous les procédés employés de tout temps par tous les gouvernemens qui veulent se débarrasser juridiquement d’un adversaire ou d’un hôte gênant. Des policiers subalternes, obéissant à de secrètes, instructions ou désireux de prouver leur intelligence et leur zèle, s’attachent à la personnalité qu’il faut perdre, écoutent ses propos, épient ses fréquentations, commentent ses actes, et leurs informations adroitement interprétées forment un faisceau de présomptions suffisantes pour justifier une arrestation et un jugement. Des domestiques mécontens, des intrigans démasqués, des