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absence rendit possible l’usurpation de Thibau dont le règne éphémère et sanglant devait se terminer par l’expédition de 1885 et l’annexion de la Birmanie à l’Empire des Indes.

La situation des princes était en effet très délicate. S’ils essayaient de joindre leur père que les assurances les plus loyalistes transmises par des émissaires empressés ne pouvaient fléchir, la population aurait vite renversé les barrières ; le Roi pouvait être massacré dans la bagarre par quelque fanatique partisan de ses fils ou renvoyé dans la bonzerie dont cette même foule l’avait fait sortir quinze ans auparavant pour le placer sur le trône. S’ils demeuraient à Mandalé jusqu’à ce que leur père ait plus justement apprécié leur rôle, l’effervescence de la capitale gagnerait le pays tout entier, et leur popularité grandissante alarmerait davantage le Roi. Il fallait donc se décider sans perdre un instant. Devant la porte de ce palais qu’il ne pouvait plus franchir comme sujet fidèle et fils respectueux, mais qu’un signe de lui ferait céder sous l’irrésistible élan d’une foule enthousiaste acclamant son nouveau souverain, Myngoon prit aussitôt la résolution de quitter la capitale et d’attendre du temps sa justification. Malgré les instances de ses amis, il se dirigea, toujours accompagné de son frère, vers sa maison pour faire sur-le-champ ses préparatifs de départ ; sans chef et sans but, l’émeute devait cesser aussi promptement qu’elle avait commencé.

Sur leur chemin, les princes rencontrèrent le capitaine Sladen, alors représentant de l’Angleterre auprès du gouvernement birman, qui venait du palais royal et s’efforçait, non sans peine, de rentrer à la Résidence. Après avoir calmé la populace qui voulait lui faire un mauvais parti, Myngoon fit connaître à Sladen son rôle et ses projets. Le capitaine lui expliqua les causes de l’obstination du Roi qui, dans son ignorance des événemens, pleurait la mort de son frère, maudissait ses enfans dont il se préparait à punir le crime et la rébellion. Il leur démontra les difficultés d’un séjour dans les États de leur père et leur exposa qu’il croyait avoir les pouvoirs nécessaires pour leur offrir au nom de son gouvernement un asile à Rangoon, jusqu’à ce que Min Doon mieux instruit ait compris le caractère du service qu’ils venaient de lui rendre à son insu.

Les deux frères n’hésitèrent pas à suivre ce conseil. Le soir même ils quittaient Mandalé à bord d’une jonque royale que, grâce à l’anarchie de la capitale, ils avaient réquisitionnée.