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dû ralentir leur mouvement, il faisait remarquer que ce serait une grande faute que de laisser aux Français le temps de se rallier et de recevoir des renforts. Il fallait éviter tout siège qui occasionnerait des retards, des pertes et un grand emploi de troupes. Des corps d’observation à peu près égaux aux garnisons devaient suffire ; aussitôt l’ouverture de la Baltique, une flottille devant Dantzig et des troupes de blocus feraient tomber cette place.

Si l’Autriche abandonnait Bonaparte, la situation de celui-ci allait être très mauvaise. Elle ne serait pas meilleure, si l’Autriche, sans se détacher de lui, se bornait à une neutralité armée en se tenant prête à s’emparer de ce qui lui conviendrait, surtout en Italie. On devait bien croire d’ailleurs que cette puissance ne tenterait pas un grand effort en faveur de l’homme qui lui avait fait tant de mal. D’autre part, les hommes que Bonaparte levait maintenant en France, n’étaient pas des soldats ; ils ne combattraient passablement que si l’armée était composée au moins pour moitié de vieux soldats. Or, Bonaparte n’en avait plus qu’en Espagne. Abandonnerait-il ce pays ? C’est ce qu’il aurait de mieux à faire. Mais les hommes dans sa situation prennent ordinairement des demi-mesures, et c’est probablement ce qu’il ferait en retirant d’Espagne cinquante ou soixante mille hommes pour servir de noyau à sa nouvelle levée de conscrits. Avec cette armée nécessairement médiocre, il tenterait en Allemagne, non pas d’anéantir les armées russes, mais de faire une espèce de campagne pour servir d’abord à aguerrir ses nouveaux soldats et pour profiter des fautes de ses adversaires.

En ces circonstances, Moreau pensait que la diversion la plus terrible, « celle qui pouvait le plus sûrement anéantir la puissance de Bonaparte, rendre la paix et le repos à la France et à l’Europe, » devait être faite avec les Français prisonniers en Russie. Il conseillait d’employer le colonel Rapatel au recrutement de trente ou quarante mille hommes, tant officiers que soldats, choisis parmi les prisonniers. Dans sa pensée, un tel recrutement ne serait pas difficile. « Ils doivent abhorrer celui qui les a si mal conduits dans l’entreprise la plus folle et la plus ridicule qui ait jamais été faite et mépriser le lâche qui les abandonna au moment où ses talens pouvaient leur être le plus nécessaires. » Il serait important de n’admettre à cette organisation de prisonniers français que des officiers bien sûrs et d’en écarter