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ses appels, sauf à lui reprocher amèrement les refus que, parfois, elle était contrainte d’opposer à ses exigences.

Il finit cependant par revenir auprès d’elle, le 18 mars 1557, résigné de nouveau à son « sacrifice » pour forcer l’Angleterre à le soutenir dans sa lutte contre les Français. De nouveau Marie, mortellement malade et plus pareille à une ombre qu’à une jeune reine, se livra de tout son cœur à l’illusion d’être aimée. Mais Philippe, dès qu’il eut réussi dans son projet, prétexta les nécessités de la guerre pour s’éloigner d’elle. Cette fois encore. Marie voulut l’accompagner jusqu’à son dernier pas sur le sol anglais. Incapable de se mouvoir, amaigrie et jaunie, plus vieille de vingt ans, mais profondément sûre d’être enceinte d’un fils, elle se lit porter de Gravesend à Douvres, dans une litière auprès de laquelle chevauchait son mari. Elle le vit monter sur la chaloupe qui allait le conduire à sa galiote royale, et longtemps encore resta sur le quai d’embarquement, suivant des yeux, à travers ses larmes, son amant adoré et le père de son fils.


Elle mourut quelques mois après, haïe de son peuple, abandonnée des serviteurs qu’elle croyait les plus sûrs et les plus fidèles, certaine désormais d’avoir échoué dans son œuvre de restauration catholique, mais toujours se consolant de ses pires angoisses par l’espoir d’un dernier retour de son cher Philippe. Et je n’ignore pas que, d’autre part, elle a joué un rôle politique des plus importans, et que ses biographes sont tenus notamment de la justifier du surnom de « sanglante, » qu’elle a trop longtemps porté dans l’histoire anglaise ; mais son tragique amour pour Philippe II a été, — nous le voyons clairement dans la suite des faits cités par M. Hume, — la seule source profonde de tous ses actes aussi bien que de toutes ses pensées. A l’opposé de sa sœur Elisabeth, — instruite, peut-être, par son exemple, — elle a permis à son cœur de femme de prendre entièrement possession de sa vie ; et nul sujet, à coup sûr, n’était mieux fait pour séduire la curiosité d’un historien « romanesque » que l’étude du martyre de ce pauvre cœur de vieille fille amoureuse[1].


T. DE WYZENVA.

  1. Je dois ajouter qu’on pourra trouver un très vivant et touchant portrait de Marie Tudor dans un roman historique de M. Robert Hugh Benson, The Queen’s Tragedy ; et que la formation de l’esprit et du caractère de la fille aînée d’Henri VIII a été récemment étudiée, avec une très délicate pénétration psychologique, dans le remarquable roman en trois volumes consacré par M. Ford Madox Hueffer à l’aventure de Catherine Howard.