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à un gouvernement, seul maître de toutes les presses, de le faire envisager à mon égard comme un désir de vengeance contre mes compatriotes et à l’égard de Sa Majesté Impériale comme une subornation et une nécessité peu honorable pour elle et son armée.

« En supposant même que je puisse accepter, dès à présent, le service qui m’est offert, les distances où je me trouve le rendraient inutile, la crise actuelle devant avoir une issue très prompte. Quelle que soit l’armée qui triomphe, la paix sera sans nul doute la suite des événemens militaires. S’ils sont favorables aux Russes, il est probable que le chef du gouvernement français succombera, tant par le mécontentement de son armée que de l’intérieur. Et certes, cet événement serait hâté s’il était possible de faire connaître aux Français les intentions modérées et pleines de raison de Sa Majesté Impériale à leur égard. Mais on ne peut se dissimuler les difficultés de rien faire pénétrer dans ce malheureux pays. D’un côté, la surveillance est excessive, et de l’autre, la terreur est telle que trois personnes n’osent se communiquer leur pensée par la crainte d’avoir un traître parmi elles.

« Il y a longtemps que j’ai quitté la France, et les correspondances intimes avec ce pays sont tellement difficiles, pour ne pas dire impossibles, que je ne puis dire ce qu’on doit attendre ou espérer des Français contre le petit nombre de scélérats qui les oppriment. Un voyage en Europe ne m’instruirait pas davantage ; les pays, sous la domination de Bonaparte, sont d’une telle étendue, que je ne serais guère plus rapproché que je ne le suis, et sans nul doute, la surveillance sur les amis que je puis y avoir serait beaucoup plus sévère. Ainsi placé sous sa domination, je serais plus occupé à me cacher qu’à toute autre chose, et parmi les ennemis de sa puissance, il lui serait facile de me faire perdre la popularité que je puis encore avoir en France et par conséquent me réduire à une entière inutilité.

« Cependant, je ne dissimule pas la nécessité de faire connaître dans ce malheureux pays les intentions sages de Sa Majesté Impériale de Russie, que tout désir de partage et de conquête est loin de ses projets et de ses inclinations et qu’Elle laisserait la France se choisir le gouvernement qui lui conviendrait du moment où le tyran qui la gouverne cesserait de la tourmenter, ainsi que l’Europe. Quels que soient les événemens