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l’empire du mauvais magicien, qui sait la capter et la faire servir à ses desseins, elle se livre éperdument à ses instincts de volupté et de séduction. Alors superbe, caressante, irrésistible, elle fait tomber les jeunes chevaliers du Graal dans ses filets. C’est elle qui a séduit Amfortas et qui a permis ainsi à Klingsor de lui ravir la lance sacrée. C’est elle qui est chargée de séduire Parsifal, le plus redoutable ennemi de Klingsor, parce qu’il est innocent et pur. Toutefois Kundry n’est ni une courtisane vénale, ni une passionnée vulgaire. A travers ses amours successifs elle aspire à la délivrance. Elle sent instinctivement qu’elle ne trouverait son salut que par celui qui saurait lui résister. Elle le cherche sans le trouver. Devant elle, devant ses charmes, tous les hommes sont faibles et lâches. Le plaisir d’en triompher s’accompagne chez elle de mépris. Quand elle les voit sans force, épuisés à ses pieds, elle est prise d’un fou rire. Puis viennent, aigus comme des flèches, le remords et le repentir. Alors, changeant de costume, d’humeur et de vie, elle va servir les chevaliers du Graal en un sauvage vêtement de bohémienne, leur apportant des herbes et des baumes. Elle obéit ainsi à un besoin secret de réparer le mal qu’elle a fait. Cela dure un temps, puis son autre nature la reprend, le sauvage désir, le besoin de tout oublier dans la sensation. Elle a beau lutter ; un sommeil léthargique la terrasse. Le mauvais magicien en profite pour la ressaisir. Quand elle se réveille, elle est en son pouvoir et prête à recommencer son ancienne vie par une aventure nouvelle.

Cette conception serait remarquable à elle seule comme une mise en œuvre de la personnalité double et de la subconscience, récemment étudiées par la psychologie expérimentale, mais insuffisamment élucidées par elle parce qu’elle en ignore les causes. Or, ce sont précisément ces causes que Wagner met en lumière. Il suppose que cette double nature vient des existences antérieures de Kundry et le dit clairement. Dès le premier acte, Gurnemanz suggère aux jeunes chevaliers qui raillent la bohémienne et lui trouvent des airs démoniaques : « Elle expie peut-être ses vices d’autrefois. » Pour la réveiller, au second acte, Klingsor l’évêque avec les noms qu’elle portait dans d’autres existences. « Hérodiade, Stryge et Rose d’enfer. » Enfin, Kundry se souvient elle-même d’un moment capital d’une de ses vies antérieures, et ce moment incisif est l’axe de toute son évolution. Quand elle veut poursuivre Parsifal, dans le jardin des