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évolution, partie de l’extrémité opposée. Tandis que les peuples de l’Europe arrachaient, pour ainsi dire, à l’Etat, comme une concession, chaque liberté, « toutes les libertés, en Amérique, appartenaient à l’individu par le fait seul de la naissance[1], » et l’État ne se constituait qu’en les limitant : nous avons vu qu’il serait vraisemblablement conduit à les limiter encore. De même, tandis que, chez nous, les inégalités de fait s’atténuaient sous l’influence de l’idée d’égalité, là-bas la société, à mesure qu’elle s’organise, ébauche des aristocraties. Enfin, alors que nos vieilles nations, fortement unifiées, sont amenées par les échanges de leur vie économique, la nécessité et la facilité des communications de toute sorte, à élargir leur horizon et à faire une part à l’esprit international, la jeune nation américaine sent le besoin de resserrer ses liens, de concentrer et de fortifier en elle le sens de la personnalité : elle est manifestement à une phase de nationalisme. La leçon des faits, indépendante de nos partialités, semble bien être que partout la nation, la société, l’Etat sont soumis à des lois dont la réalisation leur assurerait l’équilibre idéal, en deçà ou au-delà duquel ils oscillent dans l’amplitude plus ou moins large, plus ou moins désordonnée, des essais, des réformes et des révolutions... Plus précisément, ici, elle nous enseigne la valeur de l’initiative individuelle, le bienfait de la liberté, l’inappréciable efficacité de l’idéal national. Cet idéal, toutes les forces vives du pays s’en inspirent et y aspirent. Il est vraiment l’idée directrice de l’organisme social, il le crée, le conserve et l’épanouit. Ce que doit être cet organisme, à quelle forme il doit tendre et prétendre s’il veut développer toutes ses possibilités de puissance et de bonheur, nous le lisons assez clairement dans les efforts du plus grand peuple des temps modernes pour devenir et rester une nation[2].


FIRMIN ROZ.

  1. Boutmy, op. cit., ch. VI.
  2. Cet article était composé lorsque parurent les intéressantes Notes sur les États-Unis de M. André Tardieu. Nous nous félicitons de trouver sous la plume de ce clairvoyant observateur la formule qui résumerait le mieux notre étude : « Les Américains sont une vivante leçon d’énergie nationale. »