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qu’il se garderait d’intervenir dans les affaires intérieures de la France et se ferait un devoir de régler ses relations avec le nouveau ministre des Affaires étrangères d’après les instructions de son souverain.

Sébastiani, devenu ministre des Affaires étrangères, ne tarda pas à montrer ses griffes à l’ambassadeur de Russie. Les arméniens de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse provoquèrent ceux de la France, et lorsque Pozzo attira l’attention de Sébastiani sur ce fait, le ministre lui répondit avec beaucoup de franchise : « Si l’armée de l’Empereur passait sa propre frontière, le roi Louis-Philippe regarderait ce mouvement comme une déclaration de guerre et ordonnerait à la sienne d’entrer immédiatement sur le territoire des Alliés, parce qu’il n’était pas sage de laisser agglomérer et approcher des armées qui ne pouvaient qu’être destinées contre la France. »

Pozzo di Borgo connaissait Sébastiani et n’attendait de lui rien de bon. Il n’en fut pas moins très surpris de ce langage. « Une pareille déclaration, « écrivait-il le 20 nov. /2 décembre 1830, « n’admettait pas de réplique ; elle n’était pas susceptible d’être combattue par des paroles. Il importait seulement de connaître qu’une telle intention existait et de la faire avouer sans déguisement. » En tout état de cause, une déclaration catégorique de cette nature du ministre des Affaires étrangères de France obligeait l’ambassadeur à se défier quelque peu des dispositions pacifiques du gouvernement français. De plus, il recueillit de la bouche même de Louis-Philippe des plaintes continuelles sur l’attitude de l’empereur Nicolas à son égard. Le Roi se sentait blessé de ce que la lettre de l’Empereur, qui contenait une violation des formules de courtoisie adoptées dans la correspondance entre souverains, eût été communiquée à des gouvernemens étrangers. Il se plaignait en outre que ce fait eût reçu une certaine publicité. Le comte Pozzo di Borgo se fit un devoir de contester toute complicité du gouvernement russe quant à la publicité donnée à cet incident ; mais il ne put s’empêcher de convenir que l’Europe traversait une crise très dangereuse, dont il était impossible de prévoir l’issue. Il s’estimerait heureux d’empêcher le développement de cette crise, et il considérait pour cela le rétablissement de relations amicales entre la Russie et la France comme une nécessité impérieuse. Pour atteindre ce but, il était nécessaire, en premier lieu, de préciser sa position. Louis-Philippe