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au Maroc la volonté de Dieu, et que celle-ci détermine la volonté du peuple lui-même. C’est la victoire qui désigne le sultan ; il fallait donc qu’elle eût prononcé ; mais, quand elle l’a eu fait, il aurait été absurde de ne pas accepter son verdict. Que nous importe, en somme, que le sultan du Maroc se nomme Abd-el-Aziz ou Moulaï Hafid ? Nous n’avions personnellement qu’une crainte, à savoir que la victoire restât longtemps incertaine entre les deux compétiteurs, ce qui aurait indéfiniment prolongé l’anarchie. Heureusement, celle de Moulaï Hafid a été complète. Elle n’a pas été brillante, militairement parlant ; ce n’est pas un de ces exploits dont celui qui en profite a le droit de se glorifier ; elle est due surtout à la trahison et à la panique. Si les destinées tiennent parfois à peu de chose dans le reste du monde, elles tiennent à moins encore au Maroc. Mais, quelque modeste qu’elle ait été, la victoire a été décisive. Notre parti a été pris tout de suite. S’obstiner dans la cause vaincue aurait été un de ces actes de chevalerie qui ont illustré autrefois don Quichotte : nous n’en devions pas tant à Abd-el-Aziz que nous avions recueilli y a quelques mois, sortant tout moulu des mains de l’Allemagne, et qui n’avait cherché un concours auprès de nous que parce qu’il n’en trouvait plus ailleurs. Il ne pouvait plus rien faire pour nous et nous ne pouvions plus rien faire pour lui, sinon lui montrer les égards qui étaient dus à son infortune et, autant que possible, en adoucir pour lui les suites. Il ne serait digne en effet, ni de la France, ni de l’Europe, de se désintéresser de son sort. Heureusement il n’y a aucune haine entre les deux frères : c’est un trait honorable de leur caractère. On obtiendra, sans doute, assez facilement de Moulaï Hafid qu’il assure à Abd-el-Aziz une existence décente : il n’a voulu lui prendre que la couronne.

Il l’a, et ce n’est pas nous qui ferons obstacle à ce qu’il la garde ; nous souhaitons, au contraire, qu’il la porte haut et ferme ; mais sa reconnaissance officielle par l’Europe et par nous est un fait d’une autre nature que celui qui lui a donné la couronne. Nous n’avons pas seulement le droit, nous avons le devoir d’y mettre des conditions. Le changement de souverain dans un État civilisé, quelle qu’en soit la cause, ne change en rien la situation internationale de cet État : tous les traités qui la constituent subsistent, jusqu’au jour où ils ont été modifiés d’un consentement commun. Il doit en être au Maroc comme ailleurs : néanmoins, comme nous avons affaire à un pays qui ne ressemble pas à tous les autres, et à un souverain que nous connaissons mal et qui est le produit d’une révolution provoquée surtout par la