Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reprise du programme parlementaire de Midhat-Pacha, les déclarations des Jeunes-Turcs, tous ces signes concordans nous révèlent au moins une agitation inquiétante dans ces pays que nous avions l’habitude de considérer comme endormis à tout jamais.

Leur réveil a été une grande surprise pour tout le monde. Et cependant, nous aurions dû prévoir ce qui arrive. Ces événemens si soudains ne font que traduire un état d’esprit que nous ne pouvions pas ignorer, un travail de transformation qui s’accomplissait au vu et au su de chacun, même en Turquie, en dépit de toutes les surveillances policières et de tous les efforts rétrogrades. Oui, nous étions informés de tout cela. Néanmoins, les conséquences logiques de ces faits nous étonnent. Elles nous étonnent, parce que nous nous disions : « Que l’Orient bouge, cela nous est bien égal ! Ce ne peut pas être sérieux ! » Depuis des siècles, nous nous sommes accoutumés à ne voir dans l’Orient qu’un magasin de décors, de même que, pour nous, jusqu’à ces dernières années, les Japonais n’étaient que des personnages de paravens. Il faudra peut-être, à brève échéance, réformer, là-dessus, nos idées.

En attendant, le pli est pris. Malgré tous les changemens matériels, malgré le mouvement novateur qui s’affirme d’un bout à l’autre du monde musulman, nous persistons à envisager l’Orient comme le suprême asile, — comme une sorte de conservation intangible de la couleur locale. Un bandeau a été mis sur nos yeux par nos poètes et nos romanciers, et nous n’avons pas le courage de le soulever. Nous ne voulons point admettre que l’exotisme est mort, tué par l’expansion coloniale, par la diffusion de la culture européenne, — et que, devant les graves problèmes que soulève, dans toute l’Asie, la collision des races, la badauderie littéraire n’est plus de saison. Nous nous obstinons à chercher l’Orient là où il n’est plus.

Rien n’y fait. Nous avons beau savoir que tout est changé, nous moquer nous-mêmes de notre candeur, nous restons, malgré tout et toujours, les lecteurs éblouis des Orientales. Cet Orient méditerranéen, qui est si près de notre Europe, qui est si semblable à nos pays latins, nous le voyons encore avec les yeux de nos grands-pères romantiques !

En 1836, Théophile Gautier écrivait à un de ses amis qui voyageait en Algérie : « Rapporte-moi quelques bons pots de couleur locale ! « Nous n’avons guère varié depuis. Rapporter