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Cependant, du fond de l’Asie et de l’Afrique, les soldats arrivaient par masses. Armés à la hâte et à peu près vêtus, ils se portaient sur les frontières et constituaient des effectifs imposans. Le sultan, au moment de la déclaration de guerre (fin mai 1877), avait, par sa proclamation aux troupes, suscité en elles un enthousiasme farouche : « Vous vous élancez à la guerre sainte contre les ennemis de la foi. Vous portez, non seulement le drapeau ottoman, mais le drapeau de l’Islam. Vos sabres de croyans vont vous ouvrir le paradis. »

Quand Gourko fut si près d’Andrinople, on se réveilla. On savait maintenant que la guerre était sérieuse, on comprenait qu’il fallait se battre, vaincre ou mourir. On se décida à concentrer les efforts, dispersés jusque-là. Suleyman pacha fut rappelé du Monténégro et opposé, avec des forces supérieures, à Gourko. Celui-ci n’ose plus avancer ; puis il recule, non sans pourvoir à la défense du défilé de Chipka. Cela fait, il dut repasser les Balkans et se replier sur le Danube. Là, les affaires s’étaient singulièrement compliquées pour le grand-duc Nicolas.

L’armée du centre, celle qu’il commandait, formait un triangle dont la pointe était l’avant-garde de Gourko. Plus ce triangle s’allongeait, plus il était en danger sur ses flancs. A gauche, vers le bas Danube, Zimmermann retenait l’attention du général turc Abdul-Kerim, bientôt remplacé par Mehemet-Ali. Pour plus de sécurité, le général en chef russe confie au tzaréwitch deux corps d’armée avec mission de rejeter loin de Routschouk l’armée turque en formation sur le Lom et qui peut menacer ses derrières. A droite, dans une pensée analogue, il ordonne au général de Krudener, commandant du 9e corps, d’aller s’établir sur la route de Widin, pour tenir en respect l’armée d’Osman pacha.

Mais celui-ci l’a prévenu. Osman pacha, officier du génie, qui avait fait ses premières armes à la rude école de la guerre de Sécession, avait du sang-froid et du coup d’œil. Arrivé trop tard pour dégager Nicopolis assiégé, il s’arrête sur les hauteurs qui dominent la petite ville de Plewna, point de rencontre de routes nombreuses et qui tient, de ce côté, la clef de l’Empire.

Conscient de ce qu’il peut demander à ses troupes, il se met à remuer de la terre, entoure les collines qu’il occupe d’une série de redoutes et d’ouvrages improvisés formant une triple ligne de feux habilement dissimulés. Le 20 juillet, sans reconnaissance