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qu’avec méfiance, par des chefs enclins à considérer comme intangibles les moyens employés dans leur jeunesse. Il ne faut donc pas s’étonner de voir leur influence s’exercer parfois comme une force retardatrice. Quelques-uns se refusent à reconnaître que des conditions nouvelles sont venues modifier la tactique et que des engins dont la puissance croît chaque jour, rendent rapidement caduques des méthodes de combat jusque-là jugées les meilleures. Voyant dans la charge le plus puissant moyen d’agir sur le moral de l’adversaire, ils s’obstinent à la considérer comme le mode essentiel d’action de la cavalerie. Ils s’appuient sur ce principe, vrai en lui-même, mais qui dans ce cas n’est pas applicable ; l’énergie morale et physique des combattans, leur volonté de vaincre ont été et seront toujours les facteurs essentiels de la victoire. Trouvant, dans la charge, la synthèse de ces facteurs, ils concluent à son efficacité. En vain est-il prouvé que depuis la bataille de Dresde en 1813, aucune charge n’a réussi. Ils s’obstinent dans leur rêve, et toute l’instruction de la cavalerie est dirigée vers ce but suprême : la charge !

Ceux qui ne partagent pas leurs idées sont accusés de vouloir détruire l’esprit cavalier, sinon la cavalerie elle-même ! Il faut ajouter que cette conception rétrograde du rôle essentiel de la cavalerie est appuyée par l’aversion qu’elle montre pour le combat à pied. Cette aversion tire en partie son origine de l’ancien préjugé de la soi-disant supériorité de l’bomme de cheval sur l’homme à pied. En mettant pied à terre, le cavalier croit déchoir. Il faut reconnaître que, sous prétexte d’exalter l’esprit de l’arme, nos officiers ne se sont guère efforcés de faire disparaître ce sentiment. D’autre part, la crainte de paraître manquer d’ « esprit cavalier » empêche un certain nombre d’entre eux d’admettre que le combat à pied est devenu la règle, et non l’exception.

A la suite d’une critique de manœuvre, un officier supérieur de cavalerie disait à un officier d’ordonnance : « Le général est vraiment bien exigeant avec le combat à pied ! Je suis entré dans la cavalerie, j’ai suivi les cours de Saumur, pour me battre à cheval. Je suis prêt à me faire tuer à cheval quand on voudra, mais à pied, je ne puis me faire à cette idée ! » Il lui fut répondu : « Il s’agit alors de savoir si la cavalerie est faite pour l’agrément de ceux qui la commandent ou pour servir le pays. »