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particularités dont nous serions, nous modernes, très fortement frappés, ensuite, de ce qu’on appelait déjà, dans l’antiquité, le mensonge grec. Le même orgueil de race qui les poussait à se proclamer autochtones, les empêchait de reconnaître ce qu’ils avaient emprunté au voisin. Et puis il se produisait chez eux, chaque fois qu’ils parlaient de leur pays, tout un travail d’idéalisation inconsciente. Ce besoin d’idéaliser, qui, s’il conduit à la beauté, peut aboutir aussi à l’artificiel et au convenu, il est instinctif et irrésistible chez tous les peuples de la Méditerranée. Aussi bien que les Grecs, les Italiens, les Espagnols et les Provençaux d’aujourd’hui, ont, besoin d’être avertis et guidés par l’esprit critique du Nord, pour voir leur pays tel qu’il est. Autrement ils le chantent, ils le perçoivent selon leur cœur, en patriotes qui s’exaltent, ou en voluptueux qui ne veulent que s’embellir la vie. Le mensonge grec, organisé en quelque sorte par les rhéteurs d’Alexandrie et de Rome, consacré et entretenu par l’enseignement, est responsable en partie de l’image fausse que nous conservons de l’Hellade. Je le veux bien, les poètes ont le droit de s’en éprendre, de persévérer dans cette aimable illusion et même d’y ajouter : leur Grèce, à eux, c’est une espèce d’Arcadie intellectuelle et plastique, toute semblable à celle des bergers et des bergères qui obtinrent la vogue au temps de la Renaissance. Mais il ne faudrait pas être dupe de cette chimère.

Quand donc nous déciderons-nous à voir l’antiquité, comme nous voyons la réalité contemporaine ? Le moment est venu, il me semble, de liquider toute la friperie pseudo-antique du dernier siècle, — toute cette Grèce d’Hippodrome et de matinées travesties ! Celle même des Michelet, des Taine, des Renan, des Leçon te de Lisle ne peut plus être la nôtre. L’archéologie a réuni une masse énorme de documens, elle a fait des découvertes décisives qui ont changé l’opinion des savans. Or, cette opinion n’est pas encore suffisamment sortie des petits cercles fermés de la science ; elle n’a pas renouvelé les idées des gens de lettres et du grand public. D’autre part, les voyages, l’étude directe des âmes, — je n’ose pas dire la psychologie comparée, parce qu’on abuse vraiment, aujourd’hui, des méthodes scientifiques, — tout cela est capable d’éclairer le problème d’un jour nouveau. Un romancier qui décrirait la Grèce antique, et qui tenterait l’aventure, dans m : esprit à la fois lyrique et positif, nous rendrait