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qui portaient sur les sujets les plus variés, à l’unique exception du catéchisme, que le pasteur Laukhard non seulement s’interdisait d’enseigner, pour son compte, à son jeune élève, mais qu’il lui défendait d’étudier au collège voisin où il l’avait envoyé.

Frédéric Laukhard avait environ dix-huit ans lorsque, ayant achevé brillamment ses « humanités, » il est entré à cette université de Giessen qui a été la première des grandes écoles où devait s’écouler toute sa jeunesse. Malgré son ignorance du catéchisme, et une incrédulité beaucoup plus radicale, comme aussi plus bruyante et plus intolérante que celle même de son digne père, c’est dans la section de théologie qu’il s’est fait inscrire à Giessen, ainsi que, plus tard, à Heidelberg, à Iéna et à Halle : toujours estimé de ses maîtres pour son intelligence et la remarquable qualité de ses « dissertations, » tandis que ses camarades s’accordaient à admirer son expérience consommée de buveur, de joueur, d’organisateur de farces méchantes contre les bourgeois. Parfois, en vérité, il essayait d’abandonner cette vie universitaire pour aller remplir un emploi de pasteur, que les démarches assidues de son père avaient réussi à lui procurer ; mais bientôt son ivrognerie, ses exploits galans, et l’intempérance trop ouverte de son « voltairianisme w le chassaient de la place péniblement acquise ; sur quoi le jeune théologien s’empressait de retourner à sa chère existence d’étudiant, qu’il finit même, un jour, par échanger contre celle de professeur d’université, après avoir subi, avec un éclat mémorable, les épreuves de la « maîtrise en philosophie. »


À l’université de Halle, qui était alors l’une des plus peuplées et des plus renommées de toute l’Allemagne, le « maître » Laukhard occupait, dans les premiers mois de l’année 1783, une situation que maints de ses condisciples de naguère pouvaient justement lui envier. Ses cours d’hébreu, de grec, et d’histoire de l’Ecole lui attiraient un bon nombre d’élèves payans ; ses travaux littéraires commençaient à répandre son nom dans le grand public ; et l’un des personnages les plus en vue de la vieille cité universitaire, le docteur Semler, l’honorait expressément de son amitié. Ce docteur, — et pasteur, — Semler était lui-même, du reste, un exemple curieux de l’état d’anarchie où se trouvait plongée la théologie protestante de la seconde