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royaume paraît ne pas le regarder ; il n’est affecté de rien ; dans le conseil il est d’une indifférence absolue : il souscrit à tout ce qui lui est présenté. En vérité, il y a de quoi se désespérer d’avoir affaire à un tel homme ; on voit que dans une chose quelconque son goût apathique le porte du côté où il y a le moins d’embarras, dût-il être le plus mauvais... Il est comme un écolier qui a besoin de son précepteur, il n’a pas la force de décider ; il met les choses les plus importantes, pour ainsi dire, à croix ou à pile dans son conseil... On croirait qu’il a été élevé à croire que, quand il a nommé un ministre, toute sa besogne de roi est faite et qu’il ne doit plus se mêler de rien. C’est à celui qu’on lui a désigné de tout faire, cela ne doit plus le regarder, c’est l’affaire de celui qui est en place. Voilà pourquoi les Maurepas, les d’Argenson, sont plus maîtres que lui. Je ne puis mieux le comparer dans son conseil qu’à M. votre fils qui se dépêche de faire son thème pour en être plus tôt quitte... Encore une fois, je sens malgré moi un fond de mépris pour celui qui laisse tout aller selon la volonté de chacun. » Aussi, malgré les divergences d’opinion et la froideur de la favorite à son endroit, ne peut-elle refuser une admiration reconnaissante à la duchesse de Châteauroux, qui « est enfin parvenue à donner une volonté au Roi » et à le « mettre à la tête de ses armées. » « Ce n’est pas, ajoute-t-elle, qu’entre nous il soit en état de commander une compagnie de grenadiers, mais sa présence fera beaucoup... Un roi, quel qu’il soit, est, pour les soldats et le peuple, ce quêtait l’arche d’alliance pour les Hébreux ; sa présence seule annonce des succès. »

Ici, comme dans ses romans, comme dans son salon, la réflexion s’achève en « maxime. » Mais les formules y sont presque toujours moins abstraites, moins intellectuelles que dans les romans, parce que l’image y vivifie et colore la pensée : « On ne passe pas d’acte devant notaire pour faire une friponnerie. » — « L’esprit prend toutes sortes de formes excepté la gaieté. » — « Tout sert en ménage quand on a en soi de quoi mettre les outils en œuvre. » — « On gagne de mauvaises parties, on n’en gagne jamais d’abandonnées, » etc. Plus encore que par leur rare bonheur d’expression, ces maximes s’imposent au lecteur par leur énergie. Cette femme sans scrupule et sans morale n’a gardé qu’une vertu, la volonté. Indulgente aux débauches qui n’énervent pas les courages et n’asservissent pas les intelligences, elle