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un régime dont on ne trouvera pas le substitut sans quelque agitation, la principale idée de l’intelligente populace étant que, si dans le sombre passé la moitié de la nation a vécu dans la paresse, la beauté de l’heureux avenir sera que toute la nation pourra vivre sans rien faire[1]. »

C’est le vice profond de l’Angleterre. Ses capitaines ne sont plus que des capitalistes. L’idée dont les philosophes de la richesse et du laisser faire sont les théoriciens, celle qui mène les âmes depuis que la brique et la houille ont commencé de détruire la verte campagne anglaise, l’idée mercenaire du profit les possède à leur tour. Entre eux et ceux dont ils avaient charge et qui peinent à leur service, les liens du devoir et du sentiment ont fait place aux seules et strictes relations économiques. Le peuple ne s’y trompe pas : aujourd’hui un gentleman n’est qu’un oisif armé de la puissance contraignante de l’argent, puissance qu’il emploie à faire peiner les pauvres, à les assujettir à des tâches épuisantes et dégradantes, pour en tirer soit plus d’argent, et par conséquent de puissance pour lui-même, soit l’inutile objet de luxe qu’il détruira sans scrupule, en un jour, en une heure, pour son plaisir. Rien d’étonnant si, les nobles dégénérant jusqu’à n’être plus que des riches, la lutte naturelle du peuple contre les riches devient la révolte du peuple contre ses chefs naturels.


Ces deux querelles sont constamment confondues et s’assemblent en un même combat. Les intérêts qui paraissent communs aux nobles et aux millionnaires les assemblent en une même résistance à des foules qui réclament à grands cris, les unes du pain, les autres la liberté. Et pourtant deux querelles ne sauraient être plus distinctes. Richesse et noblesse, loin de dépendre l’une de l’autre, se contrarient, si bien que la première caractéristique de toutes les aristocraties qui donnèrent de grandes dynasties au monde, fut d’être pauvres, pauvres par serment, pauvres toujours par générosité. Et de tout chevalier véritable aux époques chevaleresques, la première chose que dit l’histoire, c’est que jamais il ne s’accumula de trésors[2].


On répondra qu’il y a toujours eu des riches et des pauvres, qu’une société ne peut se passer du travail manuel, et que l’homme ne s’y résigne que sous l’aiguillon du besoin :


C’est entendu. Oui, le travail est à jamais inévitable, et pour qu’il s’accomplisse il faut des capitaines de travail. Justement parce que j’ai toujours

  1. Crown of Wild Olive, § 136.
  2. lbid., § 133.