Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup d’hommes. Il avait toujours cru à la vertu bienfaisante des études classiques : il éleva la voix en leur faveur : « Supprimer les humanités, écrivait-il dans Le Baccalauréat et les Études classiques, ou les compromettre par l’accumulation des programmes, sous le prétexte enfantin d’être tout à fait moderne, serait simplement trahir la civilisation. Il faut à tout prix maintenir les études classiques. » Mais bien des choses semblaient compromises dont le péril l’inquiétait. Plus d’une fois, il dut faire appel à son ironie en présence de spectacles qui l’attristaient. Il avait horreur de tout ce qui était exclusif, étroit, oppressif et tyrannique. Il haïssait l’esprit de secte, de toute la passion qu’il avait pour la liberté. Invité à prononcer un discours de distribution de prix, il en fut empêché par ordre, n’étant pas sur tous les points d’accord avec les puissans du jour : il passait corrupteur de la jeunesse ! Ce qui le chagrina dans cet ostracisme, c’en fut moins encore la brutalité que la sottise : l’homme d’esprit se vengea en écrivant un article sur « l’éminente dignité des bêtes. » Dans un temps où beaucoup se plaignent de l’effacement des caractères, il faisait belle figure d’indépendant, empressé à dire la vérité à ses amis et aux autres. Mais il ne boudait pas son temps. Il se souvenait d’avoir, aux dernières pages d’un livre classique, rappelé ce conseil que donne Rabelais : « Allez, amis, en gaieté d’esprit ! » Il conservait cette sorte de gaieté qui est signe de santé morale. Et cela achève de le peindre. La séduction de cette physionomie fut dans sa complexité. Le mérite original de l’homme et de l’écrivain est d’avoir su allier dans une si heureuse harmonie ces qualités qui chez d’autres s’excluent trop souvent : l’imagination avec le savoir, l’ironie avec le bon sens, et l’attachement à la tradition avec une entière liberté d’esprit.


RENE DOUMIC.