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quelque site historique, tel que le Yamato ou ancien temple d’Ise, ou près de Nara, autrefois capitale, les routes et les auberges sont remplies de ces touristes parfois bruyans et exubérans.

On a souvent appelé le Japon le Paradis des enfans, le pays où l’enfant ne pleure jamais. Je constate volontiers la vérité de la première proposition, mais la seconde a dû certainement être formulée par quelqu’un qui ne connaît pas les petits Japonais. Il suffit de vivre très peu de temps dans un village japonais ou encore mieux dans une famille indigène, pour se convaincre du contraire. A dire vrai, les enfans n’ont nulle part des cordes vocales plus développées, et nulle part au monde ne s’en servent plus volontiers. Ils pleurent pour la moindre des choses ; ils pleurent pour rien. La différence avec ce qui se passe ailleurs est que, au premier signe de chagrin enfantin, père, mère, grands-parens, frères et sœurs, toute la famille, y compris les domestiques, courent pour voir et se hâter de calmer l’enfant.

En suivant toutes ces phases de l’éducation nationale, on remarque que cette tendresse excessive pour la première enfance a plus d’importance qu’il ne semblait tout d’abord. Nos premiers souvenirs ne sont-ils pas ceux qui laissent la plus forte impression dans nos esprits ? Les premiers principes donnés ne sont-ils pas les plus durables ? Et n’est-ce pas par bonté qu’on gagne l’affection de l’enfant ? D’ailleurs, les parens japonais semblent se faire parfaitement obéir. Un « Tom Sower » est un être inconcevable au pays des Nippons, car l’abandon de l’enfant, dans le sens européen du mot, y est inconnu. Le grand avantage dont jouit l’enfant japonais, c’est d’avoir une « nursery, » ou bien de pouvoir changer la maison entière en « nursery. » En cela, il est privilégié en vérité, car la grande chambre bien aérée et bien éclairée où se tient la famille (the living room) fait une superbe salle de jeu et les parens sont toujours prêts à jouer avec leurs enfans. Que de fois, en entrant dans une maison japonaise, on trouve la famille entière, jeunes et vieux, se roulant sur les nattes et jouant ensemble à quelque jeu enfantin ! Ne raconte-t-on pas la même chose d’Henri IV, un des plus grands monarques que son pays ait connu ? Ne raconte-t-on pas que l’ambassadeur espagnol le surprit un jour jouant au cheval avec son fils et que le Roi lui dit simplement : « Excellence, vous avez des enfans ! » et continua le jeu.

Au Japon, tout père de famille agirait de même ; seulement,