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La maman cheminait d’un pas alerte, la tête coiffée de son foulard jaune, les pieds chaussés des vieux souliers que lui avait donnés la sœur du curé.

— N’est-ce pas, maman, que, pour aller à l’école, on n’a pas besoin d’avoir beaucoup d’argent ? Qu’est-ce que ça coûte ? Rien du tout !

— Plus tard, mon chéri, ça coûtera ; et, si tu vas terminer tes études à Crémone ou à Padoue, ça coûtera même très cher… Espérons que ta tante ne refusera pas de mettre la main à la poche.

— Oui, espérons-le ! dit Adone.

Et il devint songeur.

Arrivés à Viadana, ils se rendirent d’abord chez le directeur de l’école, qui les accueillit avec bienveillance. C’était un vieux prêtre, grand ami du curé de Casalino, qui lui avait déjà parlé d’Adone. Il fixa des yeux un peu vitreux dans les yeux clairs du garçonnet.

— Très bien, très bien ! dit-il ensuite, en agitant ses doigts longs et fins. Voilà des yeux qui promettent. Sais-tu à quoi les yeux servent, mon enfant ?

— A voir ! répondit promptement Adone.

— Bravo, bravo ! Mais ils nous servent aussi à révéler nos pensées : ce sont les fenêtres de l’âme.

Le professeur, blond et gras comme un bourgeois cossu, accueillit avec non moins de bienveillance la pauvre femme et le nouvel écolier. Les yeux d’Adone le frappèrent, lui aussi.

— L’intelligence ne manque pas, dit-il en donnant à l’enfant de petites tapes sur la joue. Reste à savoir s’il y aura autant de bonne volonté.

En dépit de ces éloges, l’écolier demeura soucieux et presque triste pendant tout le temps de la classe : le professeur lui avait dit qu’il faudrait acheter au moins le livre de lecture. Comment faire, puisque Tognina ne voulait rien dépenser ? Et d’ailleurs, si elle achetait des livres, il ne lui resterait plus de quoi payer ses impôts !

Au retour, il avait une faim si terrible qu’en passant, il s’arrêta chez sa mère : il lui semblait qu’il ne pourrait jamais arriver jusque chez sa tante. Par bonheur, sa mère l’attendait, et elle lui avait préparé une petite fouace qu’il dévora avidement, assis sur la marche de la porte. Ses petits frères le regar--