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avec le progrès : il augmente au contraire ; mais ce qui augmente, dans ce volume, n’est point quelque chose de propre à la machine ; ce n’est ni son moteur, ni ses membres, c’est seulement ce qu’on pourrait appeler sa « défroque. » Ainsi, des trois choses qui donnent à un véhicule son aspect, c’est-à-dire les membres ou organes qui communiquent avec l’extérieur : dans l’automobile, les roues, le radiateur, le volant ; ensuite la carapace destinée à protéger les organes délicats : — dans l’automobile le « capot ; » — enfin, le bût ou la carrosserie, tout ce qui est membres ou organes apparens n’a cessé de diminuer tandis que tout ce qui est carapace ou bât ne cessait de grandir. Il suit, de là, que, tout en se manifestant comme une plus grosse machine, le mécanisme de l’automobile parvient à se dissimuler.

L’évolution de la machine moderne se dessine donc clairement à nos yeux. Nous voyons maintenant d : où elle vient et où elle va. Dans son premier état, dans ses instinctifs tâtonnemens pour l’existence et pour la marche, la machine, avec ses grandes roues, avec ses béquilles, avec ses organes apparens, imite davantage les gestes apparens de l’homme ou des espèces supérieures : le cheval, l’oiseau, et très peu leur organisme intérieur. Dans son dernier état de perfection, quand son existence est assurée et sa marche facile, la machine imite infiniment mieux l’organisme intérieur de l’homme et des espèces supérieures, et n’imite plus du tout leurs membres apparens. Elle nous frappe donc, au début, par ses analogies maladroites avec les mouvemens des espèces supérieures et nous intrigue ensuite par sa véritable analogie avec les espèces inférieures. Elle commence par être la caricature du cheval et de l’oiseau, et finit par être le portrait du coléoptère. Elle commence par vouloir marcher comme l’homme ou voler comme l’oiseau, et elle boite et bat de l’aile : et puis, en désespoir de cause, elle renonce à singer les espèces supérieures, elle s’assimile aux espèces inférieures de la vie animale : elle rampe, et, dès lors, elle est sauvée ; c’est seulement quand elle se met à ramper qu’elle va comme le vent…

Elle est sauvée au point de vue de l’Utile, mais elle est perdue au point de vue de l’Esthétique. Et c’est pourquoi on ne saurait fonder sur ses progrès aucun espoir de beauté. Plus elle avance dans la voie de la perfection mécanique, plus elle se fait informe, et le terme suprême du progrès pour elle est de dépouiller