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fenêtre ouverte, une silhouette entrevue au fond d’un couloir, une boutique, un petit étalage, une terrasse fleurie de lauriers-roses rappellent que la vie quotidienne continue, que des gens naissent et meurent, que des amans s’étreignent et souffrent, ici comme ailleurs.

Revenir et revoir ont souvent plus de charme que découvrir. A se retrouver dans une ville chère, on a la même joie qu’à relire un beau livre où chaque fois apparaissent des grâces nouvelles, des raisons nouvelles de l’aimer et de l’admirer. Rien n’est plus agréable en voyage que de s’arrêter, de loin en loin, dans des cités familières où l’on peut sortir librement, au gré de sa fantaisie, sans avoir à se reconnaître sur un plan ni à suivre les indications d’un guide. Dans les musées ou les églises, au coin d’une place ou d’une rue, on sait vers quelle œuvre d’art on va, joyeux et confiant, certain qu’elle vous accueillera avec une tendresse amie. Au contraire, en arrivant pour la première fois dans une ville, on a hâte de tout voir, d’examiner chaque œuvre, de la situer dans son siècle et dans son école ; et rien n’est plus pénible que cet incessant travail d’esprit, surtout pour un simple romancier en vacances qui a le malheur, comme dit M. Paul Bourget, de n’être ni archéologue, ni critique d’art. Mais faut-il le regretter ? Pour sentir les belles choses, en jouir en dilettante, recevoir d’elles les douces, profondes ou violentes émotions qu’elles recèlent, peut-être vaut-il mieux n’être pas chargé d’un trop lourd bagage d’érudition.

Des merveilles de Pérouse, ma préférée est la Fonte Maggiore. C’est l’une des plus belles fontaines de l’Italie qui en compte tant. Quelle élégance dans ses trois vasques superposées et sa double rangée de bas-reliefs ! L’un de ceux-ci porte une pompeuse inscription que l’on peut déchiffrer encore et où les noms de Nicola et de Giovanni Pisano sont pour la première fois accolés. Le père termine son illustre carrière ; le fils commence la sienne. L’aube du XIVe siècle luit déjà. Abandonnant les antiques formules, l’art se tourne vers la nature, ne se Rome plus à l’expression du sentiment religieux. C’est la sculpture qui opère d’abord cette révolution sous la double influence de la statuaire antique, dont Nicola vit des modèles dans l’Italie méridionale, et surtout du nouvel art français. Quand, par qui,