Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous arrivâmes enfin à Neuilly. Mme de Dolomieu[1]m’attendait dans la cour. Je n’en pouvais plus ; il faisait une chaleur assommante. Elle me mena chez Mme de Montjoie pour me reposer un instant.

Mais Mademoiselle[2]y arriva aussitôt ; elle m’emmena dans son cabinet, après avoir échangé quelques mots de politesse avec Arago. Elle était dans un état d’excitation visible, mais pourtant calme et avec l’air très résolu.

Elle me montra un billet de son frère, écrit au crayon ; il était à peu près en ces termes : « Il n’y a pas à hésiter, il ne faut pas aliéner Pozzo. Sébastiani ne sera pas nommé. Tâchez de le faire savoir. » Je me chargeai volontiers de cette commission.

On ignorait encore à Neuilly la proclamation que j’avais entendu lire en chemin. Je me rappelais assez exactement les termes et je les rapportai à Mademoiselle. Dès l’intitulé : Proclamation du Lieutenant général, elle m’arrêta :

— Du Lieu tenant général ? vous vous trompez, ma chère.

— Non, Mademoiselle, je l’ai entendu trois ou quatre fois et j’en suis sûre.

— Il comptait ne prendre que le titre de Commandant de Paris.

— Il aura été entraîné par le vœu général. Il faut qu’il puisse commander hors Paris, comme dans son enceinte, il n’y a qu’une pensée là-dessus.

Et à cette époque cela était parfaitement exact. Je citai à Mademoiselle toutes les personnes que j’avais vues la veille, et le jour même. Depuis Mme de Rauzan et sa coterie jusqu’aux défenseurs des barricades. Tous réclamaient l’intervention de M. le duc d’Orléans.

Mademoiselle l’admettait complètement nécessaire. Mais, selon elle, une seule démarche était indispensable, et le devoir y était clair. Il fallait se jeter à travers les combattans pour arrêter l’effusion du sang ; conjurer la guerre civile, faire poser les armes et rétablir partout l’ordre et la tranquillité.

Elle en était si persuadée que, lorsque la veille on était venu chercher son frère, en assurant les esprits disposés à lui laisser jouer le rôle de pacificateur, voyant que son absence y apportait un retard matériel, elle avait offert de se rendre à Paris, si elle

  1. Mme la marquise de Dolomieu, dame d’honneur de Mme la duchesse d’Orléans.
  2. Mademoiselle d’Orléans. Madame Adélaïde sous la monarchie de Juillet.