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désolées. On se perdait en conjectures. On croyait à de grandes résistances, mais constitutionnelles. Les lettres closes ayant été envoyées aux députés, ils arrivaient de momens en momens. Cet appel était-il la suite de l’impéritie accoutumée, ou bien tes rassemblait-on dans des intentions hostiles et pour sévir contre eux ? Il y avait matière à deviser, et nous n’y manquâmes point.

L’ambassadeur de Russie, le plus irrité, le plus véhément de nous tous, nous raconta avoir rencontré le comte Apponyi sortant du cabinet du prince de Polignac, très satisfait, et allant expédier à Vienne un courrier porteur de ces bonnes nouvelles. Pozzo ne partageait ni cette confiance, ni cette joie. Il était entré à son tour dans le cabinet où il avait trouvé le ministre, calme et enchanté de lui-même, répétant qu’il était plus constitutionnel que personne, si ce n’était le Roi ; tout irait à merveille, il ne comprenait pas même d’où pouvait naître l’inquiétude, et il avait fini par dire : « Soyez tranquille, monsieur l’ambassadeur, la France est préparée à accepter tout ce que le Roi voudra et à l’en bénir. »

Dans la soirée, on jeta quelques pierres à la voiture vide du ministre, son cocher fut légèrement atteint, mais elle rentra à l’hôtel dont on ferma la porte cochère. Le groupe qui la poursuivait se dispersa ; sans doute M. de Polignac triompha et crut l’orage dissipé ! Nous nous séparâmes fort tard et bien tristes.

Si je voulais raconter tout ce qui est venu ensuite à ma connaissance et les détails appris depuis, il y aurait bien long à dire, mais je m’attache à écrire uniquement ce que j’ai vu ou entendu moi-même et dans le temps.

Il y a pourtant un fait dont j’ai la certitude, il peint tellement le prince de Polignac que je ne puis résister à le citer. Le dimanche soir, les ordonnances étant signées et tandis qu’on imprimait le Moniteur, M. de Polignac dans son plus intime intérieur, entouré de gens sur lesquels il pouvait entièrement compter, mit la conversation sur le discours du trône pour l’ouverture des Chambres.

Pendant une heure et demie, il en discuta chaque parole, accueillant les objections et les combattant ou les admettant comme la plus sérieuse chose du monde.

On ne comprend pas comment, dans de pareilles conjonctures, l’homme sur lequel pesait une si grande responsabilité