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grandes entreprises préfèrent employer ce « surplus » à l’extension, à l’amélioration de leurs moyens de production, plutôt que de le distribuer aux porteurs d’actions ordinaires. Ceux-ci savent à quoi ils s’exposent. Ils ont confiance en ces valeurs futures et problématiques : aussi des actions ordinaires, qui n’ont jamais distribué un centime, sont-elles parfois cotées aussi haut que des titres privilégiés de la même compagnie qui rapportent régulièrement 7 pour 100. Cette confiance est raisonnable ; si l’affaire réussit, les actions ordinaires offrent de plus larges perspectives de plus-value.

Ainsi envisagé, le capital des trusts divisé, outre ses obligations pures, en titres « communs » voués à tous les risques mais susceptibles de gains indéfinis, et en titres de « préférence » moins lucratifs mais mieux garantis, constitue financièrement une combinaison ingénieuse et sensée. Elle cesserait de l’être si les lanceurs d’affaires, en vue de repasser à la clientèle tes actions ordinaires dont ils sont gratifiés, les faisaient monter artificiellement en les dotant de revenus à demi sincères. Le cas se voit en Amérique comme il se voit en tous pays. Chacun sait qu’il n’est rien de plus aisé que de dresser un bilan parfaitement correct en apparence, quoique parfaitement faux en réalité. Ce n’est pas d’hier que date ce mot d’un président de conseil d’administration disant à ses collègues : « Messieurs, fixons d’abord le dividende ; nous examinerons les comptes ensuite, afin de ne pas nous laisser influencer par eux. »

Nous avons en France un exemple typique de cette docilité des chiffres dans notre budget national, détaillé, discuté et, semble-t-il, percé à jour qui, néanmoins, peut se régler à volonté, en excédent ou en déficit, sur le papier, suivant l’art de classer et d’accommoder les recettes et les dépenses au gré des majorités. Aux Etats-Unis, où tout change et se transforme très vite, il est arrivé à la même société de pratiquer successivement l’une et l’autre politique à peu d’années d’intervalle, de se montrer tantôt trop prodigue et tantôt ultra-timide dans le compte de ses bénéfices et de provoquer ainsi les appréciations contradictoires, bien qu’également fondées, de leurs partisans et de leurs détracteurs.

Les unes et les autres ont été émises sur le trust de l’acier, la plus grosse affaire de l’Amérique et sans doute du monde entier. Lorsqu’en 1901 les établissemens Carnegie fusionnèrent avec