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suffrage, d’écarter des urnes les partis ou les classes sociales les plus hostiles au gouvernement. D’accord sur ce point, les ministres n’eussent pas longtemps hésité, s’ils n’eussent trouvé devant eux la route barrée par un obstacle qu’avait elle-même dressé l’autorité impériale. La constitution ou les « lois fondamentales » qui en tiennent lieu sont formelles. Article 86 des lois fondamentales édictées par le Tsar lui-même : « Aucune loi nouvelle ne peut prendre existence sans l’autorisation du Conseil de l’Empire et de la Douma d’Empire, ni recevoir force exécutoire sans la confirmation de l’Empereur. » Et comme si le pouvoir souverain avait voulu spécialement prévenir la mesure dictatoriale qu’allait prendre le gouvernement, l’article 87 qui autorise certaines mesures législatives provisoires, pendant la suspension des travaux de la Douma, stipulait expressément que « ces mesures ne pourraient apporter de changement ni aux lois fondamentales de l’Empire, ni à l’institution du Conseil de l’Empire ou de la Douma d’Empire, ni à la loi électorale du Conseil de l’Empire ou de la Douma. »

Devant de pareils textes, on conçoit l’embarras et les hésitations du Tsar et de ses ministres. La parole de l’Empereur est engagée, affirmaient les uns ; passer par-dessus les lois fondamentales, ce n’est pas seulement violer la loi, c’est amoindrir l’autorité morale de la couronne, porter atteinte à la foi du peuple en son souverain. — L’Empereur, répliquaient les autres, est le maître, il ne peut être prisonnier d’un texte rédigé sur ses ordres. Ce n’est pas en vain qu’il a conservé le titre d’autocrate ; il peut défaire seul les lois qu’il a été seul à faire. Vous dites que c’est violer la constitution ; mais, si on la viole, ce n’est que pour sauver le régime constitutionnel. Une nouvelle loi électorale peut seule nous donner une Chambre viable ; si l’on recule devant le fantôme d’un coup d’État, il n’y a plus qu’à renoncer à toute Chambre élective pour revenir au régime absolu.

M. Stolypine était, semble-t-il, de ceux qui éprouvaient des scrupules ; il a fini par faire taire ses répugnances. S’il n’avait pas cédé, un autre eût pris son poste ; la loi électorale eût été de même modifiée par un oukaze de l’Empereur au Sénat.

Le premier ministre s’est résigné ; il a sans doute cru que, la dissolution une fois décidée, c’était la seule chance de sauver ce qui pouvait rester du régime constitutionnel. L’avenir