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lorsqu’il verra parmi l’équipage un pilote de votre taille, envisagera les points noirs sans inquiétude, et ne regardera plus en arrière pour y chercher les hommes auxquels il s’était habitué et qu’il croit encore de sûrs appuis contre les flots irréconciliables. Il est donc nécessaire de renforcer puissamment ceux qui veulent maintenir la liberté, et on pense que votre accession remplirait ce but (4 octobre 1869). »

Ma réponse fut nette : « Un ministère ne peut durer qu’avec le double appui du souverain et de la Chambre. Or, je ne suis certain ni de l’un ni de l’autre. L’Empereur est bienveillant pour moi et il me verrait avec plaisir aux affaires, mais dans un milieu qui me contiendrait ; il n’est pas résolu à m’y mettre dans un milieu qui me soutiendrait. Il m’accepterait comme ministre, mais il n’est pas décidé à se confier à mon ministère. Or, si je prenais le pouvoir, ce ne serait que par honneur et non par goût, uniquement pour obéir à une injonction du souverain vis-à-vis duquel je suis l’otage de mes idées. Quant à la Chambre, j’ignore ses dispositions à mon égard, et dans cette incertitude, je ne saurais entrer aux affaires sans une dissolution signée en blanc, ce que l’Empereur n’accorderait probablement pas. Je ne dis rien des autres parties du programme sur lesquelles l’accord ne serait peut-être pas plus aisé. Ne parlons donc plus de moi. Que le ministère actuel continue son œuvre de dévouement. Il n’est pas nécessaire que je sois dans ses rangs pour lui être utile ; qu’il persévère dans sa pratique libérale et, si l’on veut s’en écarter, qu’il se retire avec éclat. Il aura une belle page. Si l’on incline à un retour vers les réactionnaires, ma présence n’empêcherait rien, mais l’Empereur briserait lui-même sa couronne. Il est évident que, tôt ou tard, il y aura un choc dans la rue avec les Irréconciliables. Dans ce cas, je suis d’avis qu’on frappe ferme, mais pour être sûr du succès et surtout pour le légitimer, il faut que sur nos enseignes brille le mot de Liberté et que les autres ne puissent inscrire sur les leurs que celui de Révolution (7 octobre). »

Schneider, secondant les efforts de son ami Magne, me télégraphia de venir à Paris (28 octobre). Je lui répondis : « Inutile. » L’Empereur lui-même, à son tour, me fit écrire par Clément Duvernois, son journaliste : « Que de chemin parcouru depuis votre premier billet en 1860 ! Nous étions seuls alors, vous et moi, à croire à la politique qui devait rendre la liberté à ce