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pourrions le croire, nous, lorsque nous lui voyons faire les mêmes choses que ses pires devanciers, et les faire plus brutalement qu’eux ; mais il est persuadé pour son compte que « l’essence de l’État » n’est plus la même depuis qu’elle vient de lui. Dans le cas actuel, nous ne le chicanerons pas. Il a pris sa meilleure plume de journaliste, et, en réponse à un mémoire qui lui a été remis il y a quelques semaines par les représentans du syndicat des instituteurs, il a écrit vraiment un beau morceau, destiné, nous l’espérons du moins, à servir de préface à des mesures décisives.

Après avoir rappelé aux instituteurs tout ce que la République a fait pour eux, les améliorations nombreuses qu’elle a introduites dans leur situation, enfin l’ensemble de mesures qui en ont fait des fonctionnaires privilégiés, il estime que tant de bienveillance leur impose certains devoirs. « Au premier rang de ces obligations, il faut placer, leur dit-il, celle d’assurer la continuité du service public auquel vous êtes attachés. En acceptant une fonction de l’État, vous renoncez au droit d’abandonner votre travail par une entreprise concertée. Un contrat public, débattu par le Parlement, vous lie à la nation elle-même. Le rompre par une action simultanée et collective est autre chose qu’une grève : c’est une entrave mise à l’exercice de la souveraineté nationale dans le fonctionnement d’un ou de plusieurs de ses organes. Ce délit appelle contre ceux qui s’en rendraient coupables les sanctions prévues au projet du gouvernement. » Au fur et à mesure qu’il écrit, M. Clemenceau devient plus vif et plus pressant. Il déclare que la place des instituteurs n’est pas dans les Bourses du travail. « Elle n’est pas, dit-il, davantage dans la Confédération générale du travail. Elle y est d’autant moins qu’il s’y tient un langage auquel un éducateur ne peut pas apporter son adhésion. L’apologie du sabotage et de l’action directe, la provocation à la haine entre les citoyens, l’appel à la désertion ou à la trahison sont une doctrine que vous vous devez à vous-même, à votre mission, à l’école laïque, à l’idéal républicain, comme à notre pays, de combattre avec une suprême énergie. » On ne saurait mieux dire. M. Clemenceau continue sur le même ton. Il rappelle que le Comité confédéral est « l’exécuteur des décisions des congrès nationaux. » Parlons-en, de ces congrès ! Il y en a eu un, l’année dernière, à Amiens ; il a voté une décision ainsi conçue : « Le Congrès affirme que la propagande antimilitariste et antipatriotique doit devenir toujours plus intense et toujours plus audacieuse. » De pareils sentimens seraient-ils partagés par les instituteurs syndiqués ? De pareils desseins seraient-ils les