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Une nuit, cependant, ce grand calme a été troublé par la visite d’un voleur. Un séjour à Pétra ne peut guère se passer sans cela. Il était venu pour prendre des boîtes de conserves et s’était caché près de la tente dans laquelle j’étais, guettant son moment. Mais le cuisinier ayant remué, le voleur s’en va, puis, pris de remords, ne voulant pas s’être dérangé pour rien, il pense qu’un chameau ferait bien son affaire et le voilà qui revient, désentrave un superbe animal, le fait se lever. Hélas ! au moment où il allait l’emmener, un de nos gendarmes l’aperçoit. C’était précisément son chameau qui partait ; il court après lui, lui tire deux coups de revolver qui font l’effet, à cause de l’écho, de coups de canon. Mais, dans l’obscurité, le voleur est naturellement manqué, et nous n’avons plus qu’à nous rendormir jusqu’au lendemain matin.


Maintenant, il faut quitter Pétra, couchée morte dans son cirque de montagnes qui l’entourent d’une ceinture rose, dorée. Laissons ces tombes grandioses, ces temples admirables, ces Hauts-Lieux de prières, placés d’une façon si pure aux sommets des collines. Il faut s’en aller. Mais son souvenir me restera comme une vision incroyable, incomparable, comme l’illusion d’un rêve, comme un de ces décors merveilleux qui semblent irréalisables, tant ils sont extraordinaires. C’est vers une terre presque française que nous allons aller, c’est vers les châteaux des Croisés, du Livaux de Moyse, de Chobak, de Kérak que nous nous dirigeons. Le sol y a été arrosé de notre sang, il a été le témoin de combats épiques : c’est là que Renault de Châtillon, ce paladin glorieux, s’est mille fois illustré dans ses luttes sanglantes contre les Sarrasins.


Cte JEAN DE KERGORLAY.