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peut et doit produire l’œuvre d’art par l’accord harmonieux de la pensée et de la facture dans la présentation vraisemblable et logique du sujet ?

En 1476 fut donné ce tournoi célèbre, la Giostra. Le beau Julien, amoureux déclaré de la belle Simonetta Vespucci, fut vainqueur à son tour. Les admirables Stanze que cette fête inspira à Politien marquent une date inoubliable dans la rénovation de la poésie italienne. Elles n’ont pas moins d’importance pour l’histoire de la peinture. Dans une langue vraiment nouvelle, moderne et d’artiste, à la fois musicale, plastique, pittoresque, Politien ressuscitait les plus attrayantes visions de beauté dont s’étaient enivrés les poètes antiques. Ses évocations, nettes et lumineuses, vont servir de thèmes aux artistes. Botticelli, Signorelli, Titien, Michel-Ange, Raphaël, etc., y puiseront à pleines mains. L’Antiquité polythéiste et sensuelle poursuit, à visage découvert, la lutte engagée contre le moyen âge, chrétien et mystique, déjà bien démodé. Laurent bat des mains, Botticelli éclate de joie. Avant que l’un commande, l’autre est prêt à exécuter. Ses fantaisies néo-païennes les plus délicieuses, le Mars et Vénus, le Printemps, la Naissance de Vénus, sous lesquels on pourrait inscrire des vers de Politien, Marulle, Horace, Ovide, qui rayonnent, pêle-mêle, dans son imagination, furent, probablement, sinon toutes exécutées, au moins toutes rêvées à cette époque. Si pour quelques-unes, la conception définitive ou l’achèvement sont postérieurs, la faute en fut, sans doute, aux événemens tragiques dont la succession rapide troubla les Florentins dans leur quiétude enchantée.

Le premier fut la mort subite de l’héroïne de la Giostra et des Stanze, Simonetta. Il semble que pour toutes ces professional Beauties de Florence, l’Amour et la Mort conspirent fatalement, afin de les transfigurer plus vite en Saintes ou Déesses. C’est une tradition locale, depuis Béatrix Portinari. Les plus beaux éveils de poésie, chez Politien et Laurent de Médicis comme chez Dante et Pétrarque, sont dus au froid toucher de l’aveugle camarde. Trois ans auparavant, en juillet 1475, Albiera degli Albizzi, la reine des fêtes données à Eleonora d’Aragon, au sortir d’un bal triomphal, avait été emportée par la fièvre. Politien l’avait pleurée en beaux vers. Il pleura naturellement Simonetta qu’il avait chantée. Avec lui pleurèrent Laurent et Botticelli. Le sourire divinisé et l’immortelle élégance de l’héroïne