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qui imposent au lecteur une certaine fatigue, un certain effort, mais qui lui réservent en retour une nourriture savoureuse et forte. Il en est d’autres au contraire qu’on pénètre aisément parce qu’il n’y a pas grand’chose dedans : je crains que celles des Panégyristes ne soient du nombre. Ces rhéteurs pourraient dire d’eux-mêmes comme Voltaire, et plus justement que lui : « Nous sommes comme les petits ruisseaux ; nous sommes clairs parce que nous sommes peu profonds. » Mais tout de même il ne faut pas trop dédaigner la clarté. Outre qu’elle est bien agréable à rencontrer, et bien reposante, sommes-nous tout à fait sûrs que notre snobisme n’est pas dupe quand nous prêtons gratuitement une grande vigueur ou une grande originalité aux écrivains que nous avons peine à comprendre ? Il y a une obscurité qui est inhérente à la difficulté des sujets et à la profondeur des idées : il y en a une autre qui vient simplement d’un défaut de méthode, d’une gaucherie de l’esprit. Un puissant penseur a le droit d’être difficile à lire, mais tous les écrivains difficiles ne sont pas sacrés par cela même puissans penseurs. Pour nous en tenir à la décadence latine, n’est-on pas irrité lorsque, après s’être donné bien du mal pour déchiffrer une formule énigmatique de Fronton ou même de Tertullien, pour débrouiller l’enchevêtrement compliqué d’une phrase d’Arnobe, on s’aperçoit à la fin que tout ce tarabiscotage recouvre une idée parfois très ordinaire ? Voilà une déception que ne nous réservent point les rhéteurs gaulois. Ils ont plus de probité, si j’ose dire ; avec eux, on sait au moins à quoi s’en tenir, et leurs pensées ne nous coûtent pas plus de peine qu’elles ne valent.

Ce qui distingue encore les Panégyristes des rhéteurs des autres pays, et ce qui en même temps les rapproche des écrivains français, c’est le goût, relativement sobre et sûr, qui les préserve de tous les excès. Nous avons relevé chez eux quelques traces d’emphase et de subtilité, mais combien leur emphase est plus simple que celle des Espagnols, et leur subtilité plus naturelle que celle des Africains ! On ne trouve dans leurs discours ni le luxe de métaphores surabondantes dont est chargé le style de Sénèque, ni les vains entre-choquemens de mots chers à Tertullien, ni les interminables enfilades d’antithèses rimées où se complaisent Apulée et saint Cyprien, ni les trivialités énergiques et les sarcasmes bouffons d’Arnobe. Tous ces procédés de style, — sauf le dernier, — leur sont connus, et de tous ils