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l’empêche pas d’en chérir une particulièrement. Faut-il rappeler les termes dans lesquels il déclare à Mme de Chantal sa passion mystique ? C’est le premier billet, d’une si éloquente brièveté : « Dieu, ce me semble, m’a donné à vous ; je m’en assure, toutes les heures plus fort. » Et ce seront, saint François n’étant pas volontiers laconique, les effusions où il s’épanchera bientôt, en s’étonnant d’avoir cru, au premier moment, « qu’il ne se pût rien ajouter » à l’affection qu’il sentait en son esprit. « Mais maintenant, ma chère fille, il y est survenu une certaine qualité nouvelle qui ne se peut nommer, ce me semble, mais seulement son effet est une grande suavité intérieure que j’ai à vous souhaiter la perfection de l’amour de Dieu… Chaque affection a sa particulière différence d’avec les autres ; celle que je vous ai a une certaine particularité qui me console infiniment et, pour dire tout, qui m’est entièrement profitable. » Jamais l’amour humain n’a employé d’expressions plus fortes que celles dont se sert en maints endroits saint François pour traduire son pur amour. Seulement, à la différence de l’amour humain, celui-ci n’est ni égoïste, ni aveugle. C’est l’ardente sympathie qui sert à augmenter l’étendue cl la pénétration de l’intelligence. C’est l’amour des âmes qui mène à la science des âmes.

Cette science est faite d’abord d’observation. Il n’est pas d’erreur plus accréditée que celle qui consiste à tenir notre littérature classique pour une littérature d’abstraction et de système ; mais il n’en est pas qui soit plus continûment démentie par les faits. L’observation sert de solide fondement à la psychologie du XVIIe siècle. Nul n’a été plus que François de Sales curieux du « petit fait, » et attentif à collectionner des « documens individuels. » A travers ses lettres, et quoi qu’elles aient toutes le même sujet, qui est le progrès dans la perfection, on distingue le caractère de chacune de ses correspondantes, on devine le mal dont chacune souffrait et auquel il appropriait le remède. Mlle de Soulfour, une religieuse, est, comme tant d’autres, travaillée par la maladie du scrupule. Rose Bourgeois, l’abbesse du Puits-d’Orbe, âme capricieuse et turbulente, qui songea à quitter le cloître, et qui, y étant peut-être entrée sans vocation, est rebutée par chaque obstacle, et, faute de le pouvoir vaincre du premier coup, sitôt prête à tout abandonner : « Quand vous rencontrerez des difficultés et contradictions, ne vous essayez pas de les rompre, mais gauchissez dextrement et pliez… Il faut avoir un cœur de longue haleine. » Saint François ne réussit pas à faire entrer dans ses vues cette malade d’esprit et de corps ; il fut plus heureux dans la direction de sa sœur, la