Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les élémens dont se compose cette musique pour en apprécier l’admirable structure et la grandeur prodigieuse. C’étaient autant de néophytes, pleins de bonne volonté, mais enfin des néophytes, que tous les spectateurs qui se succédèrent à Bayreuth durant cette première année, et Fantin, comme il le dit lui-même, n’était pas assez préparé pour ne pas trouver, avec tous ses amis, que les premières scènes de cette quatrième partie traînaient passablement en longueur ; mais quel réveil au tableau de la chasse et quelle secousse à la mort de Siegfried !


Hier, grande journée, mon cher Maître ! Quel plaisir pour un artiste que ces fêtes ! Il faisait beau. Jamais autant de monde sur la route. Les voitures se suivent de chaque côté ; les wagnériens défilent, la population est sur le devant des portes ; le Roi va passer. De l’esplanade, où nous restons un moment, on voit tout ce mouvement : c’est superbe. On apprête l’illumination du soir, il fait grand jour, jamais le paysage n’a été plus charmant de ces hauteurs. La fanfare sur l’esplanade se fait entendre, tout le monde entre, on se presse, puis voilà un monsieur qui adresse de sa place quelques mots à la salle, on crie, on applaudit, Il compare les wagnériens qui vont se séparer aux apôtres qui vont porter partout la bonne nouvelle... La scène des Nornes, le départ de Siegfried, la veillée de Hagen ; connaissant peu la partition, cela paraît un peu long ; mais le dernier acte est très saisissant, le trio des filles du Rhin, la chasse, le récit, la mort de Siegfried, la marche funèbre, triple chef-d’œuvre : musique, drame, mise en scène. On l’emporte sur son bouclier, escorté par tous les guerriers (admirablement costumés), effet de lune sur une partie du cortège et l’autre dans l’ombre… Les nuages descendent au-dessus du cortège, paraissent le suivre et le couvrent complètement. Admirable. C’est la complète réussite de son idée que cette page, et vraiment on sent alors que rien ne peut soutenir la comparaison. C’est un art nouveau, l’art de l’avenir certainement.

Pensez à l’ovation finale ! Une tempête, cris, chapeaux, mouchoirs, bouquets, couronnes, etc. Enfin il paraît ! Vous n’avez pas d’idée de l’émotion qui vous gagne de voir cet homme, le chapeau à la main, attitude très simple, interdit, voulant parler. Derrière lui la toile baissée à ses pieds, ces fleurs ; les larmes me reviennent aux yeux en vous décrivant ce spectacle. Il parle... applaudissemens et la toile tombe. Encore de grands cris, elle se relève ; alors tous les chanteurs sont là rangés, il leur adresse quelques mots qu’il accentue par des frappemens de pied comme s’il conduisait un orchestre. C’est émouvant !

On sort, nous allons donner un coup d’œil à la scène, nous nous promenons dans les coulisses, nous allons voir l’orchestre, on embrasse Wagner, on l’entoure, Madame embrasse des dames ; on pleure, Wilhelmy paraît très ému. On se dit adieu. Liszt est très entouré ; c’est une vraie fête de famille. J’entends Wagner qui dit à des dames en français : « Prenez garde de tomber, » avec un accent très allemand ; il paraît fatigué, comme éteint. Ah ! que je suis content d’avoir assisté à cette fête ! Combien l’on sent ici