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Tout à la fin de cette même année 1864, Fantin ressentait une commotion des plus violentes en entendant l’ouverture du Vaisseau fantôme, que Pasdeloup exécutait pour la première fois :


Hier, écrivait-il le 26 décembre, j’ai commencé la journée par le concert dont je m’étais privé depuis quelque temps. Mais l’on jouait l’ouverture du Vaisseau fantôme, de Richard Wagner, dont j’ai été enthousiasmé. Je ne puis vous donner une idée de cette musique. L’orchestre dans ses mains est inouï, le début de l’ouverture est incomparable : de merveilleuses sonorités, étrangetés appartenant à lui seul ; l’on aurait dit que c’était écrit avec d’autres notes et d’autres instrumens. Ma pauvre tête a été emportée par ce tourbillon merveilleux. Je suis rentré chez moi par un froid très dur sans le sentir, ou plutôt le sentant avec plaisir ; ce vent froid me coupait la figure, me mordait les joues, mais je rêvais ; j’étais transporté. Oh ! le grand bonheur que me donne la musique ! Je pensais à ces grands artistes : quelle belle chose que de produire des œuvres qui peuvent tant remuer les hommes, de donner sa pensée, son suprême idéal, de dire ce que l’on ne peut dire avec la voix !


A rapprocher, par curiosité, de ce qu’il avait écrit à ces mêmes amis, juste un mois auparavant, le 27 novembre :


Vous souvenez-vous que dans nos derniers jours ensemble, on parlait d’un opéra ayant grand succès : Roland à Roncevaux ? J’ai eu la curiosité d’aller l’entendre ; ce n’est pas mauvais, c’est pis, c’est plat, médiocre. Oh ! qu’il faut se méfier des grands succès du public ! On pourrait établir cet axiome : Quand tout le monde trouve une chose bien, c’est que c’est médiocre.


Axiome très juste et dont la contre-partie pourrait être formulée ainsi : toute œuvre véritablement neuve et destinée à braver les atteintes du temps, à marquer une grande étape dans l’histoire de l’art musical, commence toujours par contrarier et bouleverser les goûts du public.

La correspondance de Fantin avec ses amis Edwards prit fin à l’automne de 1869, — du moins en ce qui touche à la musique, — et par deux lettres où il leur annonce des choses qui le mettent en joie. D’abord, c’est qu’il a entendu de nouveaux morceaux qui l’ont enchanté : presque tout l’œuvre de Schumann, à ce qu’il croit ; puis de nombreuses pages d’un élève de Schumann Johannès Brahms, qui a un grand talent : « Il me semble, ajoute-t-il, que de tout ce que j’ai entendu de moderne, c’est ce qui m’a fait le plus d’impression. » Ensuite, c’est que l’hiver qui vient promet d’être très favorable à la musique :


On ne parle que de concerts ici, écrit-il le 14 octobre ; non seulement les Concerts populaires et ceux du Conservatoire, mais encore l’Opéra en