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les difficultés qu’il accepte et qu’il essaie de résoudre, ou l’isolement avec la rhétorique pour consolation ou pour amusement. » On sait comment la Grèce ne se rendit pas au conseil des puissances, et, pour son malheur, partit en guerre, et comment, « grâce à l’Europe, il ne lui en coûta que quelques cantons thessaliens, tandis que la Crète, tout en restant partie intégrante de l’Empire ottoman, était remise aux puissances qui, pour la gouverner, déléguaient le prince Georges. Cette nouvelle crise portait à son apogée l’influence de l’Allemagne à Constantinople : l’attitude nettement turcophile de son gouvernement, les encouragemens et les félicitations de l’Empereur à l’armée turque, l’opposition de sa diplomatie à toutes les mesures destinées à atténuer le désastre des Grecs, faisaient de Guillaume II non seulement un partisan radical de l’intégrité de la Turquie, mais encore, pour le plus grand bénéfice de l’industrie et du commerce allemand, l’ami et l’allié du sultan Abd-ul-Hamid. Son voyage à Constantinople et en Palestine, en octobre 1898, fut la manifestation éclatante de cette intimité nouvelle. L’ère germanique commençait dans l’Empire ottoman.


VI

L’histoire d’une évolution qui n’est pas achevée ne comporte pas, à proprement parler, de conclusion. Mais, des observations précédentes, peut-être avons-nous le droit de tirer, pour la politique d’aujourd’hui et de demain, certaines indications sur les conditions dans lesquelles, si une crise orientale venait à s’ouvrir, les grandes puissances s’y trouveraient engagées.

L’influence économique et politique de l’Allemagne à Constantinople s’est affirmée de plus en plus en ces dernières années ; elle s’est manifestée, notamment à propos des affaires de Macédoine, dans un sens absolument conservateur de l’intégrité de l’Empire ottoman, de la souveraineté du Sultan et de son autorité de Commandeur des Croyans. En vain Abd-ul-Hamid a-t-il parfois timidement essayé de faire contrepoids à l’hégémonie germanique, en reprenant le jeu de bascule qui lui a si souvent réussi : il ne saurait plus désormais, même s’il le voulait résolument, échapper complètement à cette protection, un peu lourde à la vérité, mais qui, pour lui, reste la plus profitable et, pour le moment, la moins dangereuse de toutes celles qu’il avait