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proposé plusieurs fois au gouvernement de m’envoyer en mission dans ce bon district, sans succès d’ailleurs. Il n’est que de savoir attendre. Après avoir parcouru la Malaisie, pour la seconde fois d’ailleurs, étudié méthodiquement certains points de l’Ethiopie, de l’Arabie et du Sind, touché au Bélouchistan, me voici derechef dans l’Inde dravidienne. Quinze jours encore et je reverrai Genji, commencerai mes fouilles ! Un cinquième seulement de siècle aurait-il changé à ce point les vieilles ruines où courent les Iroulaires, chasseurs d’abeilles, que je n’y retrouverais point mon petit vimana perdu dans la brousse, à mi-hauteur du Rajahghiri, et aussi la pierre qui simule une carapace de tortue, et une autre, continuant l’alignement, où se remarque l’emblème mystérieux de la hache !

Mais, pour aujourd’hui, nous en avons fini avec l’archéologie. L’assistant collecteur m’emmène au tribunal, là il doit interroger des coolies qui vont s’engager pour les Bermudes ou quelques autres îles d’Amérique. La famine multiplie les demandes d’engagement ! Et je m’aperçois que je ne vous ai pas encore parlé de la famine. C’est là cependant un sujet sur lequel je ne tarirais pas, non plus que sur la misère qu’engendre le fléau du Coromandel. Voici cinq années que toutes les récoltes sèchent sur pied, faute de pluie. Tandis que, il y a un mois, je voyais, dans le Malabar, le pays fondre sous l’eau du ciel, ici tout meurt brûlé par le soleil, et les étangs sont taris. Aussi le peuple des campagnes, chassé par la faim, abandonne-t-il ses tristes pénates. Mieux vaut émigrer aux Antilles ou aux Mascareignes, avec femme et enfans, sous la garantie d’un contrat officiel, que de mourir d’inanition au tournant d’un chemin et d’avoir pour sépulture la panse du chacal. Ce sera donc à la famine et à l’embauchage des coolies émigrans que je consacrerai ma prochaine lettre. Aussi bien je quitterai Vellore aujourd’hui même, et aurai tout le temps de vous écrire pendant le classique arrêt de Villapouram.


MAURICE MAINDRON.