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besoin de se donner des ancêtres, vous en voyez d’autres qui dans l’histoire se cherchent et se trouvent des patrons, dont ils se prétendent les continuateurs ou les héritiers. Certain Salon d’automne, — qui a laissé dans l’esprit des visiteurs des souvenirs d’une jovialité ou d’une tristesse également justifiées, — fut placé sous l’invocation d’Ingres, hommage dont le maître, qui en était l’objet, aurait été aussi surpris qu’irrité. Ces rapprochemens, où l’audace le dispute à l’ignorance, sont devenus d’usage courant chez certains critiques : un peintre qui n’a jamais manifesté le moindre souci de la composition dérive directement de Poussin ; tel autre, connu par l’épaisse lourdeur de sa facture, n’a rien à envier à la suprême élégance de Watteau. Ces contre-vérités trop ingénieuses, indéfiniment répétées, peuvent à la longue rencontrer quelque crédit. On s’habitue à entendre dire périodiquement que la lumière, le plein-air, le clair-obscur et l’harmonie des colorations viennent d’être découverts, alors que Titien, Claude, Rubens ? Rembrandt, Velazquez et bien d’autres les ont cependant pratiqués, non sans quelque distinction. Il est vrai que chez ces grands artistes, telle qualité, si elle dominait, n’excluait cependant pas d’autres qualités qui, pour être moins brillantes, coexistaient cependant. Nous avons changé tout cela : aujourd’hui une qualité n’est reconnue qu’à la condition d’annihiler toutes les autres, et, par une tactique que l’on croit habile, mais dont on a certainement trop abusé, on érige en mérites les défauts les plus évidens. Une œuvre est d’autant plus poétique, plus expressive qu’elle reste plus flottante, plus vague, la collaboration du public devant, dans la plus large mesure, suppléer à ce qui lui manque. Le mysticisme et le symbolisme d’ailleurs sont venus fort à point pour légitimer toutes les incorrections du dessin, toutes les crudités ou les indigences de la couleur. Quant à l’exécution, c’est bien pis encore, et dans les paysages les plus impressionnistes l’intransigeance de leurs auteurs se donne librement carrière. Aux yeux de certaines gens, une exécution à peu près correcte est la marque la plus honteuse du vieux jeu, une tare absolument méprisable. C’est dans l’exécution qu’apparaissent avec le plus d’éclat toutes les nouveautés de l’art ultra-moderne : touche en hachures ; en zigzags, en virgules, en petits carrés, en petits ronds, en pointillages irisés, empâtés, et non fondus, afin, nous dit-on, d’agir plus fortement sur la rétine. Même sans professer un respect superstitieux de l’exécution, il